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Censure du gouvernement: quel sera le coût pour l'économie française?

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Le vote d'une motion de censure pour renverser le gouvernement de Michel Barnier pourrait avoir d'importantes conséquences budgétaires, financières et économiques pour la France.

Et si le budget 2025 présenté par le gouvernement de Michel Barnier n'était finalement pas appliqué? Lundi après-midi, le Premier ministre a décidé d'engager la responsabilité de son gouvernement en ayant recours à l'article 49.3 de la Constitution pour adopter le projet de loi de financement de la Sécurité sociale sans passer par le vote. Le locataire de Matignon s'expose ainsi à une motion de censure qui a de fortes chances d'aboutir en raison de l'opposition du Rassemblement national et d'une grande partie du Nouveau Front populaire dans l'hémicycle.

Sur le plan politique, les conséquences d'un tel scénario seraient importantes puisqu'il entraînerait notamment la formation d'un nouveau gouvernement. Mais sur le plan économique, les répercussions seraient tout autant considérables dans les domaines budgéraire, financier et économique.

Près de 400.000 nouveaux ménages imposés

Le budget proposé par le gouvernement souhaitait ramener le déficit de 6,1% en 2024 à 5% en 2025 grâce à un effort sur les recettes et dépenses publiques à hauteur de 60 milliards d'euros. Mais cette trajectoire serait complètement remise en cause en cas de censure laquelle pourrait en réalité creuser le déficit de la France jusqu'à 6,4% du PIB. Et pour cause, la chute du gouvernement incitera le Parlement à adopter une "loi spéciale" comme le prévoit l'article 47 de la Constitution.

Concrètement, cette "loi spéciale" se traduirait par une reconduction du budget 2024. D'un côté, les crédits alloués aux ministères seraient gelés, ce qui permettrait 15 à 18 milliards d'économies. De l'autre, le barème de l'impôt sur le revenu ne serait pas indexé sur l'inflation et intégrerait 380.000 nouveaux ménages tandis que 17 millions en paieraient davantage: ces changements génèreraient plus de 3 milliards de recettes. Mais dans le même temps, l'État enregistrerait un manque à gagner d'environ 3 milliards d'euros en raison de la revalorisation des retraites au 1er janvier qui est inscrite dans le code de la Sécurité sociale et ne dépend pas du gouvernement.

Des perdants ... mais aussi des gagnants

Invité de Télématin mardi, le ministre de l'Économie et des Finances Antoine Armand a estimé que la situation ne profiterait à aucun Français et ne créerait que des perdants. Ce serait effectivement le cas pour les agriculteurs qui attendent toujours la concrétisation des mesures promises par les gouvernements de Gabriel Attal et de Michel Barnier comme le renoncement à la hausse programmée de la taxe sur le gazole non routier (GNR) qui figure dans le budget 2025. Les ménages souhaitant accéder à la propriété ne pourront pas profiter de l'élargissement du prêt à taux zéro que prévoyait le PLF du gouvernement.

Dans le périmètre des ministères, la reconduction des crédits 2024 aurait des répercussions néfastes sur la loi de programmation militaire par exemple. Le projet de loi de finances 2025 prévoit en effet d'augmenter les crédits de la mission Défense à 50,5 milliards d'euros, soit 3,3 milliards de plus que l'année précédente. D'après le ministre Sébastien Lecornu, la commande du futur porte-avions prévue l'année prochaine pourrait être reportée en cas d'adoption de la motion de censure.

Invité de BFMTV, son homologue aux Transports François Durovray a également estimé que son grand plan "Cars express" serait remis en question. Idem pour le financement de nouveaux commissariats ou le déploiement de forces de l'ordre supplémentaires selon le ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau qui était sur le plateau de la matinale de TF1.

En revanche, certaines catégories de particuliers, d'entreprises ou secteurs d'activité pourraient être soulagés par un scénario de censure. C'est le cas des plus hauts-revenus ciblés par un taux d'imposition minimal ou encore des entreprises dont le chiffre d'affaires dépasse le milliard d'euros. C'est aussi le cas du secteur aérien et du fret maritime pour lesquels était prévue une hausse de la fiscalité, au même titre que les jeux en lignes ou les laboratoires pharmaceutiques.

Hausse du coût de financement de la dette française

Cependant, la perspective d'une censure inquiète bien au-delà de ses conséquences budgétaires. Sur le plan européen, les engagements de la France pour redresser ses finances publiques seraient mis à mal. Or, leur non-respect pourraient être sanctionné d'amendes à hauteur d'environ un milliard et demi d'euros tous les six mois.

"Ce n'est pas le gouvernement et le budget qu'on censure, mais le pays qu'on met en danger", insistait le patron de Bercy sur le plateau de France 2 mardi matin.

D'après l'OFCE, le renforcement de l'incertitude politique ralentirait les investissements des entreprises et inciterait les ménages à continuer d'épargner plutôt qu'à consommer, si bien que la croissance ne pourrait s'élever qu'à 0,5% l'année prochaine.

Le coût de financement de la dette française pourrait continuer de se renchérir, de l'ordre de 1% selon le ministre du Budget et des Comptes publics Laurent Saint-Martin. Soit un surcoût de 3 milliards et demi d'euros dès 2025, de 20 milliards d'euros d'ici à cinq ans et même 30 milliards d'euros au début de la prochaine décennie, ce qui équivaudrait aux investissements annuels nécessaires pour la transition écologique du pays. A terme, la France pourrait connaître le même sort que l'Italie et être obligée de dégager des excédents primaires pour payer sa dette.

Timothée Talbi