Dans l'ombre de Lidl, Aldi s'embourgeoise pour rattraper son concurrent

Aldi - AFP
"Place au nouveau consommateur". A moins de vivre sur une île déserte, vous n'avez pas pu passer à côté du slogan d'Aldi. Martelé dans les pubs radio, à la télé, dans la presse, sur internet, le slogan d'Aldi résume à lui seul la stratégie du discounteur allemand depuis quelques années: attirer dans ses magasins des consommateurs malins et plus seulement une clientèle paupérisée.
"C'est clairement inspiré de Lidl, résume Olivier Dauvers, spécialiste de la grande distribution. Avant pour faire du discount, il fallait que les magasins soient repoussants et ne pas faire de pub. Lidl a démontré que les Français ne veulent plus du discount paupérisant. Aldi s'est engouffré dans la brèche. Et ils ont eu raison, sans ça ils n'existeraient peut-être plus."
Une stratégie à laquelle le discounteur allemand ne croyait d'ailleurs pas du tout. Lorsque Lidl a commencé à introduire des marques nationales et à rénover ses magasins à la fin des années 2000, on estimait au sein d'Aldi qu'avec cette stratégie Lidl allait droit dans le mur. C'est que le concept de hard-discount inventé en Allemagne n'a que peu évolué outre-Rhin depuis ses origines.
Du prix et de la qualité
Mais c'était mal connaître les consommateurs français qui veulent du prix certes mais aussi des magasins attrayants, des marques et des produits de qualité.
Et comme Lidl jadis, Aldi a tiré un trait sur ses origines.
"Le concept de "hard" discount n’a jamais existé, assure Philip Demeulemeester, le gérant d’Aldi France dans LSA. Je me bats depuis des années sur ce mot que nous n’avons jamais revendiqué. En revanche, Aldi est l’inventeur du discount. Le discount, c’est une gamme réduite de 1 500 produits [...] le meilleur produit au meilleur prix [...] mais ce n’est pas un concept figé."
Aldi a donc entamé à son tour sa montée en gamme. En introduisant des marques nationales d'abord au milieu des années 2010 (elles représentent désormais 10% de l'assortiment) et surtout en se refaisant une beauté. Fini les magasins sinistres des Aldi des années 90 avec leur carrelage beige, leur lumière blafarde et les produits présentés à même les cartons de livraisons sur des palettes.
Un budget pub multiplié par... 2300!
Dévoilé en 2018, le nouveau concept de magasin baptisé Aniko (pour Aldi Nord Instore Konzept) rompt avec la frugalité des anciens points de vente. Plus lumineux (les magasins comprennent souvent des façades en verre), des allées plus vastes, une signalétique colorée et parfaitement lisible, une entrée de magasin consacrée à la boulangerie et aux produits frais, de véritables meubles en rayons (bye bye les palettes...)... Les nouveaux magasins Aldi (pour lesquels le groupe a consacré 5,2 milliards d'euros en Europe) ressemblent désormais à des petits supermarchés classiques.
En trois ans, Aldi a rénové plus de 300 magasins sur un parc de 870. Une modernisation payante. En trois ans, l'enseigne est passé de 2% de part de marché à 2,7% et vise désormais les 4%. En 2020, le groupe est un de ceux qui a le plus progressé en France. Son chiffre d'affaires a bondi de 9% à 4,9 milliards d'euros selon une estimation LSA.

C'est que cette année-là, Aldi a fait une autre entorse à la stratégie discount: il a massivement investi dans la pub. Avec l'arrivée en télé et le matraquage à la radio, Aldi a augmenté ses dépenses de communication de... 230% selon Kantar. En 2020, Aldi aurait investit dans plus de 210 millions d'euros en publicité (tarif public avant négociations), ce qui fait de lui le cinquième annonceur français de la grande distribution (loin devant Système U, Auchan ou Casino). A titre de comparaison, Aldi avait dépensé en 2017 avant sa grande mue à peine 93.000 euros en pub, soit 2300 fois moins!
Et pour se forger une image d'enseigne tendance, Aldi n'hésite pas dans son dernier spot télé baptisé "On ne peut pas plaire à tout le monde" à montrer de véritables tweets qui la critiquent (au milieu de tweets positifs tout de même): "ALDI c'est trop nul", "Chez ALDI, t'as l'impression que c'est à toi de mettre les produits dans les rayons"... Résultat: en deux ans, la chaîne a presque doublé sa notoriété en passant de 16 à 30%.
Des magasins rénovés, des budgets pub colossaux... Suffisant pour grappiller quelques précieux dixièmes de points de part de marché. Mais Aldi veut aller plus haut et plus vite. Et pour ça, le groupe n'a pas hésité à faire un gros chèque de 683 millions d'euros à Casino pour s'offrir 547 magasins Leader Price. Avec 1400 magasins d'ici la fin de l'année, Aldi peut désormais titiller son grand rival Lidl qui compte à date 1631 points de vente.
"La croissance interne se fait à une vitesse beaucoup plus faible, explique Philip Demeulemeester, le patron d'Aldi France. Grâce à ce rachat, nous atteignons tout de suite un parc significatif de magasins. À Paris, par exemple, nous avions en ce début d’année un seul magasin et nous en aurons vingt dès la fin de l’année."
Aldi qui ouvre moins d'une cinquantaine de magasins par an a ainsi gagné 10 ans d'un coup avec ce rachat. Plus de la moitié des magasins Leader Price ont déjà été transformés en Aldi et d'ici la fin de l'année c'est la totalité du parc de 547 points de vente rachetés qui sera passé sous enseigne bleu et rouge. Et le groupe qui vise à terme 1900 magasins en France assure être à l'affut pour de nouvelles opérations de croissance externe.
"Qui n'a pas copié qui?"
D'ici là les chantiers ne manquent pas. Et pour voir le futur d'Aldi c'est sans doute du côté de Lidl qu'il faut regarder. Son concurrent vient de lancer sa première carte de fidélité et réfléchit à se lancer dans le drive. Des pistes qui à n'en pas douter sont étudiées de près chez Aldi qui assume totalement de copier.
"Dans la grande distribution, qui n’a pas copié qui?, interroge Philip Demeulemeester dans LSA. Historiquement, tout a démarré parce qu’Aldi a inventé le discount. Cela fait partie du métier. Nous ne sommes pas figés face aux concurrents. Ils écoutent les clients, et nous aussi. La différence avec Lidl, c’est que nous sommes Aldi !"
Une différence qui ne tient désormais à plus grand-chose.
"La différence entre les deux c'est qu'il y a du jaune sur le logo de Lidl pas sur celui d'Aldi, ironise Olivier Dauvers. Mais savoir copier est une qualité et le succès d'Aldi le prouve."
