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Pourquoi un insecte pourrait faire grimper le prix du jus d'orange

Des oranges présentées sur un étal, lors du Salon de l'agriculture à Paris, en février 2020.

Des oranges présentées sur un étal, lors du Salon de l'agriculture à Paris, en février 2020. - BERTRAND GUAY / AFP

La production de jus d'orange s'est effondrée ces dernières années au Brésil et en Floride en raison d'une maladie qui touche les agrumes. En même temps, la consommation a connu un rebond inattendu.

À la caisse du supermarché, pour repartir avec une bouteille de jus d'orange, il faudra sûrement payer un peu plus cher. Le cours mondial du jus d'orange ne cesse de grimper depuis le printemps – car, oui, il est coté à la Bourse de New York. Les contrats à terme sur le jus concentré congelé (c'est la cotation qui sert de baromètre au marché) ont bondi de plus de 26% en trois mois et de presque 31% sur un an. En cause: un minuscule insecte et une hausse inattendue de la demande.

Le psylle asiatique des agrumes (Diaphorina citri), originaire du sud de l'Asie, est repéré au Brésil dans les années 1980, puis dans des jardins de Floride la décennie suivante. C'est un petit insecte volant, de 3 ou 4 millimètres à l'état adulte, qui affectionne particulièrement les jeunes pousses des arbres à agrumes pour se nourrir, en ponctionnant la sève, ou pour y déposer ses œufs. Or, il transporte avec lui une bactérie responsable d'une maladie ravageuse pour les agrumes, le citrus greening ("verdissement").

Le psylle asiatique des agrumes, vecteur de la maladie du "greening".
Le psylle asiatique des agrumes, vecteur de la maladie du "greening". © JOE RAEDLE / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / GETTY IMAGES VIA AFP

Des vergers "décimés"

Aussi appelée huanglongbing disease ("maladie du dragon jaune"), cette maladie est létale pour les arbres, qui s'affaiblissent puis meurent au bout d'une dizaine d'années. Et les rendements s'effondrent: avant de mourir, l'arbre laisse tomber une grande partie de ses fruits, qui sont aussi plus petits. Lorsque les premiers arbres tombent malades en Floride et au Brésil, au début des années 2000, la situation devient rapidement catastrophique pour ces deux très gros producteurs d'orange à jus, qui déterminent l'état du marché.

"Les vergers floridiens ont été décimés par la maladie, d'autant plus que le contexte climatique local est très favorable à la propagation des insectes: les ouragans les ont disséminés un peu partout", explique Eric Imbert, chercheur en économie au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad). "C'est un peu moins dramatique au Brésil", moins exposé aux ouragans, mais la production s'y effondre aussi, précise-t-il.

Avant l'arrivée de la maladie, la Floride produisait environ 230 millions de caisses d'oranges (une caisse pèse une quarantaine de kilos) chaque année. La production est passée sous la barre des 100 millions de caisses à la saison 2013/2014, puis a continué de dégringoler les années suivantes: cette saison, le Sunshine State ne devrait produire que 44,5 millions de caisses, la plus faible production enregistrée depuis 77 ans. Le Brésil, lui, devrait produire 264 millions de caisses cette saison, contre plus de 460 millions en 2004/2005.

Hausse de la demande

Après une récolte très faible la saison passée, les producteurs d'oranges s'attendaient au moins à une récolte un peu plus haute cette fois-ci – une année faible est normalement suivie d'une année forte, l'arbre ayant eu le temps de se reposer, en quelque sorte. Mais ça n'a pas du tout été le cas: la production brésilienne est quasiment la même, pénalisée par des épisodes de gel et la sécheresse, en plus du greening. Du côté de la Floride, les prévisions du ministère américain de l'Agriculture tablent sur une baisse de l'ordre de 16%.

La production saisonnière d'oranges en Floride.
La production saisonnière d'oranges en Floride. © Cirad

Néanmoins, en parallèle de cette chute de la production, la consommation décline depuis les années 2000. Aux Etats-Unis, l'un des deux gros marchés avec l'Union européenne, le jus d'orange souffre d'une image de produit sucré, et les Américains en achètent de moins en moins. Une partie des acheteurs habituels s'est aussi détourné du jus d'orange en raison de la hausse des prix. Cette baisse de la consommation a permis de compenser, en partie, la chute de production de ces quinze dernières années.

Le marché s'attendait donc, comme chaque année, à une baisse de la consommation, pour limiter les dégâts. Or, contrairement à ce qui était attendu, la demande n'a pas ralenti, et elle est même repartie à la hausse… à cause de la crise sanitaire. C'est un réflexe classique: lorsqu'il y a une menace pour la santé, les consommateurs se tournent vers les produits riches en vitamine C. La consommation mondiale de jus concentré grimpait de 4% en décembre par rapport à l'année précédente et de 10% pour le "pur jus" (voir encadré).

Peu de stocks

Cette chute continue de la production et le retour d'une demande que l'on n'attendait pas interviennent dans un contexte de stocks relativement bas (le jus d'orange est un produit facilement conservable). Et les acteurs de complément sur le marché de l'orange, notamment les pays méditerranéens, produisent essentiellement de l'orange de table et de l'orange à jus fraîche (vendue telle quelle pour être pressée). Pas vraiment de solution de repli pour le jus d'orange.

Des agrumes touchés par la maladie du "greening", en avril 2018 à Petit-Bourg (Guadeloupe).
Des agrumes touchés par la maladie du "greening", en avril 2018 à Petit-Bourg (Guadeloupe). © HELENE VALENZUELA / AFP

Hausse inattendue de la demande, production très faible et peu de stocks: un cocktail efficace pour faire augmenter les prix. Comme n'importe quelle matière première, la tension entre l'offre et la demande influe sur le cours du jus d'orange. Au port de Rotterdam, l'une des principales entrées des marchandises en Europe, la tonne vaut 2000 dollars aujourd'hui, contre 1800 dollars un an plus tôt. Ce qui ne devrait pas tarder à se voir dans les magasins, puisque la matière première représente entre 60 et 80% du prix final de la bouteille.

"Le cours du jus d'orange a une relation très directe avec les supermarchés", note Éric Imbert, qui anticipe une hausse des prix des bouteilles de jus. "Lorsque le prix [de la matière première] augmente, ce que l'on observe souvent, c'est que la part de l'orange diminue dans les jus 'multifruits', et que celle de la pomme ou de raisin augmente", une manière pour l'industrie agro-alimentaire de "compenser cette augmentation", donne-t-il à titre d'exemple.

Pas de remède connu

Cette hausse des prix devrait durer encore quelque temps. La crise sanitaire devrait continuer de stimuler la consommation et, surtout, la maladie du greening est toujours là. Les agriculteurs luttent contre les insectes qui la propagent, mais il n'existe aucun remède contre la maladie elle-même. En attendant, ils sont contraints de replanter régulièrement de nouveaux arbres. "La recherche est très engagée pour développer une variété résistante, mais le processus est long. On n'est pas encore au bout du chemin", souligne Eric Imbert.

Les producteurs de jus d'orange, c'est-à-dire les entreprises qui achètent les oranges, les pressent et les revendent à l'industrie agro-alimentaire, fournissent deux types de produits.

Le jus d'orange concentré constitue l'essentiel de l'offre: pour réduire les frais logistiques, on retire l'eau par évaporation avant de le transporter. On obtient une sorte de purée six fois plus concentrée, et donc six fois moins volumineuse, dans laquelle on réinjecte l'eau à l'arrivée. C'est celui-là qui est coté à la Bourse de New York.

Plus haut de gamme et plus cher, le jus NFC (Not from concentrate), est pressé et transporté tel quel. Il est appelé "pur jus" sur les étiquettes des bouteilles, et c'est celui que l'on retrouve le plus souvent en France.

Jérémy Bruno Journaliste BFMTV