Pourquoi le cuir vegan n’existe pas

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Cuir vegan, cuir végétal… Autant d'appellations qui fleurissent ces dernières années, dans un contexte où l’industrie textile, considérée comme la deuxième plus polluante après le pétrole, se remet en question.
Des initiatives existent pour produire des matières ressemblant esthétiquement au cuir, issues non pas d’animaux mais de fruits comme le raisin, l’ananas ou encore la pastèque. De son côté, l’industrie de la fast fashion et ses produits low-cost, propose plus souvent des alternatives en matières synthétiques comme le simili-cuir, issues de la pétrochimie.
Utiliser à tort le terme "cuir" est un délit
Le terme "cuir vegan" est un non-sens au regard de la loi. En vertu du décret 2010-29 du code de la consommation, l’utilisation du mot cuir "est interdite dans la désignation de toute autre matière que celle obtenue de la peau animale au moyen de tannage ou d’une imprégnation conservant la forme naturelle des fibres de la peau".
Autrement dit, tout produit fabriqué à partir de fibres de fruits ou de légumes et qui ressemble au cuir ne peut être considéré ni appelé en tant que tel. La filière du cuir française milite contre la mauvaise utilisation de ce terme. "L’utiliser à tort est un délit", soutient Frank Boehly, président du Conseil national du cuir (CNC), qui affirme ne pas être contre l’apparition de ces nouveaux matériaux.
"Nous nous battons contre ceux qui font la promotion de ces matériaux en dénigrant le cuir, et qui utilisent le mot cuir pour séduire les consommateurs, alors qu’ils les trompent", se défend Frank Boehly, qui affirme même que ces cuirs sont "anti-écologiques" car les fibres végétales "sont forcément mélangées avec des fibres synthétiques".
Difficile de savoir précisément quand et pourquoi les termes "cuir vegan" ou "cuir végétal" sont apparus. Ils pourraient provenir d’une traduction littérale de l’expression "vegan leather", très utilisée dans les pays anglophones. Et rien ne l’interdit, puisque le décret protégeant l’appellation “cuir” est français. Mais il existe des équivalents dans d’autres pays européens à l’image de l’Italie.
Remplacer le cuir par du champignon ou du raisin
Chaque année dans le monde, 1,4 milliard de peaux de vaches, moutons et chèvres sont transformées en cuir pour confectionner des vestes, des chaussures, du mobilier… L’industrie du textile, qui se veut plus respectueuse de l’environnement, cherche des alternatives.
Adidas vient de présenter un prototype en “cuir de champignon” de sa célèbre basket Stan Smith, Hermès entend commercialiser d’ici la fin de l’année un sac faisant appel à la technologie “Fine Mycelium”, basée sur une interprétation scientifique de la structure moléculaire de la partie végétative du champignon.

Stella McCartney fait figure d’avant-gardiste en refusant depuis le début de sa carrière d'utiliser du vrai cuir et de la fourrure. Son sac Falabella, en “cuir végétal” sorti en 2010, est rapidement devenu un “it-bag”. L'industrie automobile entame également sa transition et certaines marques comme Bentley ou Volkswagen proposent désormais des options en matières végétales pour la sellerie.
Pourquoi une telle défiance? D’une part, les consommateurs sont de plus en plus sensibles à la condition animale. Par ailleurs, le mouvement “vegan”, qui implique d’adopter un régime alimentaire végétalien et de refuser l'exploitation animale dans tout son mode de vie, connaît de plus en plus d’adeptes. L’achat de produits en cuir va donc à l’encontre de ces convictions.
Aussi, les documentaires montrant la pollution des eaux à cause des usines de textiles choquent. En Inde, l’un des premiers exportateurs de cuir au monde, des centaines de tanneries longent le Gange et sont accusées de déverser leurs déchets toxiques dans le fleuve. Même constat au Bangladesh, où 20.000 litres de déchets viendraient polluer chaque jour la rivière Buriganga. L’étape du tannage du cuir, souvent réalisé e avec de tanins minéraux comme les sels de chrome, est très polluante même si le tannage naturel se développe.
Une filière française très encadrée
L’industrie du cuir française et européenne, très réglementée, tente de prouver qu’elle est à l’opposée de cette image. "Le cuir est une parfaite illustration de l’économie circulaire. C’est un déchet de l’industrie agroalimentaire. Quand on abat les animaux, on récupère la peau pour faire du cuir", explique Frank Boehly, le président du CNC.
Il l’assure, "aucun animal n’est élevé en France pour sa peau". La raison est économique. Selon lui, "la valeur de la peau d’un animal équivaut au mieux à 10% de celle de l’animal, dans le cas d’une peau de premier choix. Dans la plupart des cas, ça tourne autour de 5%".
Les normes imposées par la France s’appliquent aussi aux produits importés sur le territoire. “D’une certaine façon, elles s’exportent puisque les fabricants doivent s’y conformer”, détaille Frank Boehly.
Problème, les produits importés sont contrôlés aléatoirement par les douanes. Et si elles peuvent contrôler le chargement d’un cargo de marchandises à son arrivée dans un port français, elles sont incapables d’intercepter des millions de paquets qui traversent individuellement les frontières jusqu’au domicile des acheteurs provenant de plateformes étrangères comme Aliexpress.
Les consommateurs ont le pouvoir
La filière est encadrée en France et en Europe, mais ce cuir est rarement celui que retrouve le consommateur dans les produits qu’il achète. "Environ 40% du cuir fabriqué en France est destiné au marché français car l’industrie s’est positionnée sur le haut de gamme pour des raisons de coûts de main d'œuvre", détaille Frank Boehly.
Le cuir fabriqué en France est destiné à l’industrie du luxe. Mais d’où vient le cuir de nos sacs à main et de nos chaussures? Selon l’ONU, 80% du cuir provient de pays en développement comme le Bangladesh, où les conditions de production sont moins contrôlées, et où les normes environnementales sont moins exigeantes. Aujourd’hui, rien n’oblige les marques à préciser l’origine du cuir utilisé. Néanmoins, le prix reste un bon indicateur des conditions de production.
"Le consommateur qui achète une paire de chaussure à 20 euros ne peut pas espérer que la qualité soit la même qu’à 200 euros. Le jour où le consommateur arrêtera d’acheter ces produits, les choses changeront, comme ce fut le cas pour les œufs de batterie. Car vous ne trouverez jamais un fabricant qui produira un produit qui ne se vend pas", affirme le président du CNC.
Pour éviter d'utiliser le mot "cuir", les industriels inventent des noms comme "pinatex" pour le matériau issu de l'ananas, le "muskin" pour le champignon ou encore l'"appleskin" pour la pomme. Ces matériaux sont voués à se multiplier ces prochaines années car l'engouement des consommateurs est là. La marque de baskets zéro-déchet Zeta, fabriquées à partir de raisins, de caoutchouc recyclé et de liège, a ainsi pu produire ses premiers produits grâce à une campagne de crowdfunding très suivie avec un objectif rempli à 2683%.