Picard : comment le "Apple des surgelés" est redevenu une "cash machine"

Photo prise le 3 septembre 2010 de la devanture d'un magasin de la chaîne de surgelés Picard. - AFP
C'est le mois où l'on se frotte les mains chez Picard. L'enseigne alimentaire préférée des Français depuis plusieurs années réalise chaque mois de décembre environ 30% de son chiffre d'affaires annuel.
Cette année, les ventes pourraient battre de nouveaux records. L'enseigne de surgelés qui a réalisé cet été son meilleur mois d'août depuis 30 ans a renoué ces dernières années avec des niveaux de croissance historique.
Selon les chiffres obtenus par L'Informé, Picard a vu son chiffre d'affaires progresser de 5,1% en 2024 (exercice clos fin mars) pour dépasser pour la première fois 1,8 milliard d'euros. En un an, c'est 100 millions d'euros de ventes en plus qu'a réalisé le leader français des surgelés (20% de part de marché). Des ventes en hausse et une marge nette insolente de 7,6% (137 millions d'euros de bénéfice net) quand un distributeur alimentaire lambda débouche le champagne quand il atteint les 3%.
Après une décennie 2010 de croissance molle (0,6% de moyenne), la belle endormie s'est réveillée à la faveur de la crise sanitaire. Cloîtrés chez eux et sans sortie au restaurant, les Français ont massivement stocké durant cette période. Les grandes surfaces pour l'essentiel et Picard pour se faire plaisir. Résultat: le chiffre d'affaires a bondi de 15% cette année-là pour atteindre 1,7 milliard d'euros.
Le dos rond durant l'inflation
Après un petit coup de froid durant la période d'inflation (volumes en baisse de 6% sur l'exercice 2023), Picard a su rebondir. Le groupe a pris sur ses marges pour limiter la hausse des prix à 15%.
"L'inflation leur a fait un peu de mal, reconnait Frank Rosenthal, expert en marketing de la consommation. Ils sont plus vulnérables qu'un E.Leclerc qui se positionne sur le prix avec une large gamme de produits. Mais ils ont bien su travailler leur image-prix avec les promos à l'entrée du magasin et leur programme de fidélité."
Lancé en 2022, leur nouveau programme de fidélité "Picard & Nous" permet de cumuler des points pour chaque 10 euros d'achats, de bénéficier de remises immédiates de 30% sur une petite centaine de produits ou encore de se voir offrir un gâteau au chocolat le jour de son anniversaire. Des petites attentions qui plaisent aux clients. Entre 2018 et 2024, le nombre de porteurs de cartes est passé de 4,8 à près de 11 millions. Désormais, 80% des achats sont réalisés par des clients du programme de fidélité.
Côté prix toujours, Picard a lancé ces dernières années des plats cuisinés express pour les salariés du midi et notamment des formules veggie à 2 euros la barquette (blésotto de légumes verts, curry de légume...).
Quelques offres "pouvoir d'achat" sans pour autant casser la formule qui a fait le succès de Picard depuis des décennies. L'enseigne qui a soufflé cette année les 50 bougies de l'ouverture de son tout premier magasin (c'était rue de Rome à Paris) reste une redoutable machine à vendre du surgelé haut de gamme.
"La force d'un Picard, comme celle d'un Grand Frais d'ailleurs, c'est l'attractivité, explique Frank Rosenthal. C'est un positionnement clair, une large assortiment (1.300 références par magasin), que des produits de marque de distributeur et des packagings très soignés avec des photos qui donnent envie."
Six minutes en magasin en moyenne
Chez Picard, le client va directement chercher les produits qu'il connaît par cœur. Il ne passe d'ailleurs en moyenne que six minutes dans le magasin.
Pour autant, il faut aussi générer de l'achat d'impulsion avec des nouveautés. Picard lance et revisite en moyenne 250 références par an. Conçus en interne par des équipes qui travaillent en trinôme (un salarié des achats, un du marketing et un ingénieur agro), les idées de plats sont ensuite transmises à des cuistots maison qui élaborent la recette au siège d'Issy-les-Moulineaux. Un travail qui prend de six à neuf mois pour trouver la formule idéale.
Place ensuite à l'industrialisation. C'est là que les sous-traitants entrent en scène. Car chez Picard, on ne fabrique absolument rien. Cet "Apple des surgelés" ne possède pas d'usine, mais un très important réseau de 260 sous-traitants qui doivent répondre à un strict cahier des charges (pourcentage de viande, quelle partie de l'animal utiliser, maturité de tel fruit ou légume...). La majorité sont français, mais certains fabricants sont situés en Belgique, en Italie, voire en Asie pour certains plats "évasion".
L'enseigne est d'ailleurs très discrète sur l'identité de ses partenaires. Une bonne partie sont des PME, mais de grands noms comme Tipiak ou Labeyrie produisent ou ont produit pour le roi du surgelé. Des sous-traitants tenus en bride par les équipes de Picard qui réalisent des dizaines de milliers de contrôles par an pour vérifier la conformité des lots produits. Pour autant les industriels sont aussi choyés par l'enseigne. Ils ont ainsi la possibilité au bout de trois ans de décliner la recette Picard sous leur propre marque. De quoi fidéliser ses sous-traitants dont certains produisent pour le groupe depuis les années 80.
Mais la recette de la croissance passe dorénavant par les ouvertures de magasins. Comptant près de 1.200 points de vente dans l'Hexagone, Picard vise désormais les 1.500 localisations. Après une stagnation du parc dans la précédente décennie, Picard inaugure dorénavant une quarantaine de magasins par dont la moitié en franchise.
Surtout le groupe, détenu par des fonds d'investissement depuis que Carrefour a revendu sa participation en 2001, va redevenir un groupe familial. La famille Zouari, incarnée par l'homme d'affaires Moez-Alexandre Zouari, va acquérir la totalité de la société Picard Surgelés d'ici au premier trimestre 2025. L’homme d’affaires qui a tenté en vain de reprendre Casino avec Xavier Niel et Matthieu Pigasse était entré au capital du champion des surgelés en 2019.
"C'est une bonne nouvelle pour Picard cette stabilité d'un actionnariat familial, estime Frank Rosenthal. Moez-Alexandre Zouari n'est pas qu'un simple investisseur, c'est un commerçant."
