La laine française remise au goût du jour par de jeunes créateurs

Julien Tuffery, tailleur de jean quatrième génération, vient de commercialiser "le premier jean au monde en laine" en choisissant celle des brebis Lacaune. - Sylvain Thomas- AFP
Fabriquant des pulls de pompiers ou l'uniforme des gardiens du Louvre, Laurent Brunas, basé aux environs de Castres, dans la région Occitanie (Tarn), voit désormais ses vêtements en laine locale avec des fibres recyclées conquérir les podiums à Paris.
Julien Tuffery, tailleur de jean quatrième génération, vient, lui, de commercialiser "le premier jean au monde en laine" en choisissant celle des brebis Lacaune (dont le lait est utilisé pour fabriquer le célèbre roquefort), la plus proche de l'atelier et jusqu'à présent peu valorisée par la filière. "Mon arrière-grand père travaillait il y a 125 ans avec des matières locales, il est normal de revenir au bon sens, à la slow fashion", explique-t-il. Il reverse aux éleveurs locaux 10% du produit de chaque jean en laine mélangée, vendu 220 euros.
Des entreprises familiales qui ont survécu à la crise
L'Occitanie a longtemps vécu en partie grâce au travail de la laine. Voisine de Castres, l'un des fiefs de ce savoir-faire, la ville de Mazamet (Tarn) a détenu entre 1870 et les années 1960 le monopole mondial du délainage (traitement des peaux de mouton pour séparer la laine du cuir) -la Nouvelle-Zélande, l'Australie et l'Argentine y envoyaient leurs peaux-, raconte l'historien Aimé Balssa, président de la société culturelle du pays castrais. Il n'en reste plus grand-chose après les crises économiques et l'arrivée de la concurrence, mais quelques petites entreprises familiales ont tenu bon.
"Je pense que le pire est derrière nous, aujourd'hui il y a toute une communauté qui s'intéresse à de la fabrication française et qui veut savoir comment sont faits les produits, par qui, et qui cherche les produits durables", explique Laurent Brunas, patron de la Manufacture Regain à Labruguière (Tarn) fondée voici 40 ans. Spécialisé dans la confection d'uniformes, cet entrepreneur est sollicité depuis trois ans par des créateurs comme Simon Porte Jacquemus, star montante de la mode ou Julien Fournié, pour des collections haute couture. Des créateurs qui cherchent la qualité, l'origine France garantie et des matières recyclées et recyclables. "Je suis scotché face à cette génération des millennials parce qu'à leur âge je ne me suis pas posé toutes ces questions", insiste-t-il.
80% de la laine produite en France est exportée
Même constat chez Fabrice Lodetti, directeur des Filatures du Parc, une entreprise familiale installée depuis 1976 à Brassac (Tarn), qui a consacré 1 million d'euros au développement d'une technologie permettant d'obtenir un fil recyclé de haute qualité. Depuis trois ans cela "tire vers le haut" son chiffre d'affaires. Des vêtements usés sont découpés, libérés de boutons et d'étiquettes, triés par coloris et matières, puis défibrés et transformés en une matière première prête à être à nouveau filée. "La qualité est similaire, voire meilleure, et le résultat est jusqu'à 98% moins polluant", se félicite-t-il.
Célio, Bonobo et Zara utilisent ses fibres issues notamment du recyclage des vieilles vestes des employés de la RATP en nouveaux uniformes. "On a remis le recyclage au goût du jour. On n'a pas été élevé avec ça, on voyait le déchet en terme péjoratif. On assiste à une progression fulgurante, pour les jeunes c'est naturel", souligne Laurent Brunas.
50 marques ont décidé d'employer de la laine française
Cinquante marques ont décidé d'utiliser de la laine française dans le cadre du projet Tricolor lancé par le salon Première vision consacré à l'industrie de la mode, qui veut promouvoir la laine transformée en France. "Plus de 80% de la laine produite en France est exportée vers l'Asie non traitée alors que la laine importée pour la mode vient de très loin", souligne Pascal Gautrand, consultant de Première vision.
Non transformée, la laine ne rapporte pas grand-chose, raconte Lionel Plo, éleveur, qui doit tondre et "faire les ongles" à ses 500 brebis une fois par an. "Les tondeurs me coûtent 1,4 euro par brebis, les attrapeurs (qui saisissent et maintiennent l'animal) 90 centimes. Et on m'achète la laine 60 centimes le kilo".
Une tendance que certains acteurs locaux tentent de renverser comme Eric Carlier, fondateur de l'atelier Le Passe-Trame, qui a sélectionné sept races de brebis locales pour des tissages déclinés de teintes 100% naturelles, avec lesquels on confectionne des écharpes plaids écoresponsables.