"Ce serait une volte-face du RN": comment le parti envisage de se convertir à la rigueur budgétaire pour l'emporter en 2027

Volte-face historique et très stratégique en vue. Le Rassemblement national a décidé d’ouvrir une "réflexion interne" sur "une règle d’or" du Pacte budgétaire européen. Mercredi 11 juin, le député RN de la Somme, Jean-Philippe Tanguy, a fait sienne la "règle des 3%" qui impose aux États de tenir des budgets qui ne dépassent pas 3% de déficit public.
Tant pis si Marine Le Pen parlait en 2012 de cette règle comme d’un "viol démocratique", le refus au nom de la souveraineté française n'est plus d'actualité. L’objectif est clair: démontrer que le parti travaille, s’adapte aux évolutions budgétaires. "Marine Le Pen n’a pas dit que tenir les comptes publics était un viol démocratique, se défend Jean-Philippe Tanguy, président délégué du groupe RN à l'Assemblée nationale, sur le plateau de BFM Business.
"Respecter un objectif de baisse de déficit public, ce n’est pas pour faire plaisir à Bruxelles, c’est pour la France."
"La situation budgétaire nous pousse à faire une mise à jour du programme économique. Si on gagne en 2027, c’est sur cinq ans", ajoute Andréa Kotarac, porte-parole du RN et conseiller de Marine Le Pen.
"Une volte-face du RN"
Le parti entend cependant affiner sa proposition pour satisfaire toutes ses composantes. Une piste est avancée: garder la possibilité pour le Parlement de déroger à la règle d’or des 3% si une majorité des trois cinquièmes s’y oppose.
Adoptée ou pas dans le programme présidentiel du parti, cette proposition représente pour Jean-Yves Camus, politologue spécialiste de l’extrême-droite, une révolution inédite:
"Si cette position est inscrite dans le programme, ce serait une volte-face du RN."
Andréa Kotarac nous confirme que non seulement cette règle est discutée, mais que "cette année encore, on proposera un contre-budget. Il n’y aura pas de grands changements par rapport au contre budget 2025, mais des évolutions sur certaines propositions". Une adaptation justifiée par la volonté de séduire les milieux économiques.
Des rencontres organisées avec des chefs d’entreprise
À l'œuvre, on trouve le conseiller François Durvye. Le directeur général d’Otium Capital, bras-droit du milliardaire ultra-conservateur Pierre-Édouard Stérin, assume organiser de plus en plus de rencontres avec des chefs d’entreprises. "Certains patrons demandent à voir Marine Le Pen et Jordan Bardella, il y en a de plus en plus, comme la probabilité qu’ils gagnent en 2027 s’agrandit", explique François Durvye à BFM Business.
"On a la volonté de présenter le programme sans caricature."
Peu de rencontres avaient lieu en 2021 lorsque le milliardaire a commencé à s’intéresser au Rassemblement national. Mais depuis 2022, les scores du Rassemblement national aux élections ont rempli les agendas de Jordan Bardella et Marine Le Pen de rendez-vous avec les grands patrons.
Au bureau du parti, on se réjouit encore de l’invitation de Marine Le Pen au déjeuner-débat organisé par le mouvement patronal Ethic en janvier 2022. "Quand des patrons du CAC 40 et des banquiers d’affaires viennent écouter Marine Le Pen, on est bien loin des caricatures qu’on nous prête", glisse un lieutenant du parti.
C'est la "stratégie de la cravate" adaptée au milieu économique, résume l’économiste Wilfrid Galand: "L’objectif du Rassemblement national, c’est de se poser comme un acteur responsable. En économie, la stratégie de la cravate c’est les 3% et les équilibres budgétaires, y compris en ce qui concerne les retraites."
Vers la capitalisation, nouvelle révolution?
Au-delà du budget, le RN ouvre la porte à la capitalisation pour les retraites. Cette seconde idée est née dans l’alliance avec Éric Ciotti même si rien n’a été arrêté à cette heure. "Jordan Bardella en a parlé ces dernières semaines mais à court terme, l’introduction de la capitalisation aggrave le déséquilibre du financement. Ce n'est pas une recette miracle mais le RN n’y est plus radicalement opposé", nous glisse un conseiller. Dans la bouche de Louis Aliot, cette idée est encore plus assumée.
"On peut imaginer une part de capitalisation, mais qui ne remet pas en cause le principe des 42 annuités", proposait le maire RN de Perpignan cette semaine sur Sud Radio.
Reste à savoir si Marine Le Pen l’entend également de cette oreille, elle qui s’y est toujours opposée et revendique cette différence avec son allié Éric Ciotti. Le politologue Jean-Yves Camus pointe en tout cas les conséquences d’un changement aussi radical sur les retraites: "Le risque, à force d’adopter des positions qui ne se distinguent pas tant que ça de la droite traditionnelle, c’est de décevoir les milieux populaires qui votent pour le RN".