Casquette "Make Europe Great Again" sur la tête, le gouverneur de la Banque de France veut convaincre que l’UE peut battre Trump

Une Europe trop technique, trop bureaucratique, trop juridique… Parfois un symbole dérisoire peut faire plus qu’un long discours pour changer l’image d’une institution. C’est ce qu’estime en tout cas François Villeroy de Galhau.
À l’occasion d’une table ronde aux Rencontres économiques d’Aix-en-Provence consacrée à la souveraineté européenne, le gouverneur de la Banque de France s’est coiffé d'une casquette verte sur laquelle l’assemblée hilare pouvait lire: "Make Europe Great Again". "Trump ne viendra pas, a alors lancé le journaliste et animateur de la conférence Nicolas Beytout. Il était attendu mais il s’est dégonflé."
Rendre l’Europe grande à nouveau. Plus qu’un slogan pour le gouverneur français, c’est un objectif auquel il croit. Malgré ses marchés émiettés, ses capitaux dispersés aux quatre coins du monde, ses champions nationaux qui peinent à devenir des géants continentaux, l’Europe n’est pas définitivement larguée, semble dire François Villeroy de Galhau.
"On a réussi l’euro, on peut transposer ce succès à l'économie", assure-t-il. "L’euro c’est un succès politique. En 1992, à peine 51% des Français étaient pour l’euro. Aujourd’hui c'est 79% et même 83% au niveau européen." Pourquoi l’euro a marché selon lui? Parce qu’il s’est incarné concrètement dans la vie des citoyens. Avec des billets dans la poche, une date mobilisatrice sur l’ensemble du continent lors de son arrivée.
"Maintenant il faut faire pareil avec l’Europe de la défense et des marchés financiers, fixons-nous une date comme le 1er janvier 2028 par exemple et faisons le pendant les années Trump!"
Un enthousiasme que semblait néanmoins ne pas toujours partager les autres intervenants de cette table ronde.
Scepticisme ambiant
À commencer par Nicolas Dufourcq, le directeur général de Bpifrance. "Les Chinois ont 35% de part de marché industrielle dans le monde, ils prennent un point par an et nous parlent désormais avec condescendance, constate-t-il. On est doublement colonisés en Europe: par les États-Unis et le numérique d’un côté et par les Chinois de l’autre."
Surtout, malgré toutes les bonnes volontés du gouverneur de la Banque de France et les intentions de la présidente de la Commission européenne, l’Europe reste, selon lui, une grande institution juridique et normative "car c’est son ADN le droit".
"Concernant l’union des marchés des capitaux il faut la faire bien sûr mais il ne faut pas s’emballer non plus, tempère-t-il. On a beaucoup promis depuis 1992 et les gens n’en veulent plus. Interrogez le peuple d’Aix ou de Cavaillon sur l’Europe, il dit grosso modo: 'non'."
C’est aussi ce qui préoccupe Stéphane Pallez, la patronne de FDJ United (ex-Française des jeux). Accroître la souveraineté européenne au détriment des États est un programme politique guère porteur sur le plan électoral. "Nous on est tous d'accord ici mais les citoyens européens ne sont pas tous d’accord, rappelle-t-elle. Les entreprises doivent être des vecteurs de confiance auprès des salariés. Mais il va falloir les convaincre elles aussi."
Même scepticisme du côté de Jean-Louis Girodolle, le directeur général de la banque Lazard, qui pointe les immenses difficultés déjà à faire une Europe de la défense.
"On a plus de F-35 en Europe que d’avions européens, rappelle-t-il. On a plein de programmes de dômes, de chars, de missiles… quand les Américains en ont un à chaque fois."
"Il faudrait accepter qu’aucun État ne pourra avoir tous les champions. Chaque Etat doit accepter de se dépouiller d’un instrument de puissance. Les opinions et les gouvernements nationaux y sont-ils prêts?" Une question rhétorique.
Une Europe trop morcelée?
Guère plus optimiste sur l’avenir de l’Europe, l’Italien Enrico Letta a régalé avec ses anecdotes. Le président de l'Institut Jacques Delors et ancien Président du Conseil des ministres italien a signé en 2024 un rapport sur les limites du marché intérieur européen, trop morcelé pour pouvoir réellement faire le poids face aux États-Unis.
"J’étais à Copenhague l’année dernière pour présenter le rapport au Parlement danois, raconte-t-il. Je présente le rapport en anglais quand le chef chef de file des conservateurs me coupe et prend la parole et se met à parler en Français: "Monsieur le général de Gaulle c’est vous qui avez raison, l’autonomie européenne c’est fondamental!"
Une anecdote qui illustre que les élites nationales sont souvent europhiles. Ce qui est plus difficile pour les citoyens. Comme en témoigne sa dernière histoire.
"Je loue un petit appartement à Madrid et j’appelle un call center pour mettre le compteur électrique à mon nom, relate-t-il. Là, un Espagnol me demande mon numéro de compte et mon téléphone. Quand je lui donne il me coupe et me dit: 'c’est quoi ce IT au début du compte bancaire? J’ai besoin d’un ES moi'. Puis: 'c’est quoi ce +39 au début du numéro? J’ai besoin d’un +34'. Je lui ai répondu que j’allais lui envoyer mon rapport sur le marché intérieur.'
