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Brexit: les pêcheurs boulonnais s'inquiètent d'une importante perte de chiffre d'affaires à venir

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Les eaux britanniques constituent "70% à 80%" du chiffre d'affaires de certains pêcheurs de la région.

Dans la nuit noire, ils partent "taquiner la seiche": Pierre Leprêtre, aux commandes de son chalutier, quitte le port de Boulogne-sur-Mer avec un équipage de quatre matelots, pour pêcher dans les eaux anglaises de la Manche tant qu'ils le peuvent encore.

Vers 5h du matin, plusieurs sonneries retentissent et Pierre Leprêtre appelle par la radio de bord ses hommes d'équipage "à filer". En un éclair, les quatre hommes sont à la manoeuvre pour déployer le chalut et jeter leurs espérances à la mer, calme désormais.

"Si on ne peut plus aller chez les Anglais, on peut mettre la clé sous la porte"

Les tensions ressurgissent épisodiquement entre pêcheurs français et britanniques depuis la décision du Royaume-Uni de quitter l'Union européenne, notamment pour recouvrer sa souveraineté sur les eaux poissonneuses où vont pêcher de nombreux pays voisins.

"En général, ça se passe bien. Enfin, on fait en sorte que ça se passe bien", se reprend tout de suite Pierre Leprêtre. "On a des groupes Whatsapp (avec les pêcheurs britanniques), ils nous indiquent leurs points" de pêche où sont posés leurs casiers pour capturer les crustacés, afin d'éviter de les endommager, explique-t-il.

Le Brexit est néanmoins dans toutes les têtes des pêcheurs boulonnais: "la semaine dernière, j'ai été tout le temps du côté anglais. S'il y a un no deal, je ne peux plus y aller", explique un brin anxieux Pierre Leprêtre. Les eaux britanniques constituent "70% à 80%" de son chiffre d'affaires.

"Si on ne peut plus aller chez les Anglais, on peut mettre la clé sous la porte", ajoute-t-il, fataliste.

Il a investi près d'un million d'euros dans son navire, pour une large part en empruntant sur 20 ans. "On a signé la construction du bateau et 15 jours après, le Brexit a été voté par les Anglais. Si j'avais su, je n'aurais pas signé, les enjeux sont trop importants."

La concurrence des Néerlandais

Les marins boulonnais s'inquiètent aussi de l'appétit grandissant de leurs homologues néerlandais, des "fossoyeurs" de la ressource, selon Pierre Leprêtre. Il peste contre l'obsession "du chiffre, du chiffre et du chiffre" de ses homologues bataves, dont les bateaux font en moyenne le double des chalutiers tricolores, estime-t-il.

Comme un pied de nez quelques minutes plus tard, paraît à quelques encablures le Scombrus, chalutier-usine géant battant pavillon français mais financé par des capitaux néerlandais, qui avait fait polémique lors de son baptême parmi les organisations environnementales et les artisans-pêcheurs.

"Les Hollandais se sentent plus chez eux que nous chez nous, à Boulogne", renchérit Christopher, matelot. "Quand ils auront tout pêché en Manche, ils iront pêcher ailleurs."
Mélanie Rostagnat avec AFP Journaliste BFMTV