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Union européenne

Brexit: avis de tempête pour les pêcheurs en cas de no deal

Les pêcheurs sont en première ligne en cas de Brexit sans accord

Les pêcheurs sont en première ligne en cas de Brexit sans accord - Charly Triballeau- AFP

Les pêcheurs risquent de compter parmi les premières victimes du Brexit si Bruxelles et Londres ne parviennent pas à un accord d'ici le 31 octobre. Actuellement, les bateaux français pêchent 30% de leurs poissons dans les les eaux britanniques.

Fin août 2018, une trentaine de bateaux de pêche français affrontaient leurs homologues britanniques dans les eaux de la Baie de Seine, zone réputée pour son vaste gisement de coquilles Saint-Jacques. Des scènes de batailles navales loin d’être isolées et qui, si elles ne sont pas toujours aussi violentes, témoignent des vives tensions qui persistent entre les deux camps.

Car si les pêcheurs britanniques ont le droit de se rendre dans les eaux françaises (et inversement) dans le cadre de la politique commune de la pêche (PCP) de l’Union européenne, ils ne sont pas toujours soumis aux mêmes réglementations nationales. Par exemple, quand les Britanniques peuvent pêcher la coquille Saint-Jacques tout au long de l’année, les Français n’ont l’autorisation de le faire qu’entre le 1er octobre et le 15 mai.

D’où un climat particulièrement tendu. Récemment, "il y a eu des tensions dans les eaux britanniques avec les chalutiers français", explique Alexia Courdant, chargée de mission au Comité régional des pêches maritimes normandes.

Le spectre d'un Brexit sans accord

Malgré ces quelques altercations, la situation actuelle -bien qu’imparfaite aux yeux de nombreux acteurs du secteur- pourrait bientôt être regrettée par les pêcheurs en raison du Brexit, prévu le 31 octobre. Car les négociations patinent entre Londres et Bruxelles, laissant craindre une sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne sans accord. Auquel cas, les accords actuellement en application ne seraient plus valables.

Ce scénario perçu comme chaotique se traduirait en théorie par la fermeture immédiate des eaux européennes aux pêcheurs britanniques et inversement. De quoi perturber fortement le secteur alors que 30% de la pêche française provient des eaux britanniques. "Plus de la moitié des pêcheurs normands vont pêcher dans les eaux britanniques", précise Alexia Courdant. De la même manière, 80% des produits de la pêche britannique sont exportés, dont les trois-quarts vers l’UE. En cas de sortie sans accord, il leur serait beaucoup plus difficile de débarquer ces produits sur le continent compte tenu de la hausse des taxes douanières et du renforcement des contrôles.

Des mesures prévues pour limiter l'impact d'un no deal

Fort heureusement, la Commission européenne a pris ses dispositions pour ne pas condamner les pêcheurs français. Pour limiter les désagréments, elle s’est engagée dans un premier temps à accorder aux navires britanniques l’accès à ses eaux jusqu’à la fin 2019, sous réserve de réciprocité des autorités britanniques, même en cas de no deal. En septembre, elle a même proposé de prolonger cette dérogation à fin 2020, le temps de trouver un nouvel accord.

Aussi cette mesure prévoit-elle une procédure simplifiée afin d'autoriser "les navires du Royaume-Uni à pêcher dans les eaux de l'Union et les navires de l'Union à pêcher dans les eaux du Royaume-Uni, pour autant que ce dernier accorde cet accès". Ce qui devrait être le cas.

Et quand bien même les Britanniques décideraient de fermer leurs eaux territoriales, les pêcheurs européens pourront recevoir une compensation financière au titre du Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche pour compenser un arrêt temporaire de leur activité. Ce fonds pèse 6,4 milliards d’euros sur la période 2014-2020, dont 588 millions d’euros sont réservés à la France.

"On a toujours l’espoir que ce soit reporté"

Les pêcheurs français préféreraient tout de même qu’un accord sur le Brexit soit conclu entre Londres et Bruxelles pour "permettre à tout le monde de travailler normalement", explique Alexia Courdant. À l’approche de la date butoir, "on est inquiets, mais ça a été repoussé tellement de fois, on a toujours l’espoir que ce soit reporté", ajoute-t-elle.

D’après elle, le Brexit est un sujet qui "revient assez régulièrement" chez les pêcheurs normands qui risquent de figurer parmi les premiers touchés en cas de no deal. Malgré leurs préoccupations, "c’est un peu silence radio depuis quelques mois du côté des autorités, mais on nous a déjà dit que les dispositions ont été prises" pour affronter un no deal. 

Des négociations avec les îles anglo-normandes

En attendant, les discussions se poursuivent au niveau local pour limiter la casse. Début octobre, le président de la région Normandie Hervé Morin a reçu à Cherbourg (Manche) les représentants des îles anglo-normandes pour évoquer l’accord de la baie de Granville qui accorde 160 licences permettant aux pêcheurs manchois d’exercer dans les eaux de Jersey, comme le rappelle Ouest-France.

Craignant de voir leur territoire pris d’assaut après le Brexit, l’association des pêcheurs jersiais voudrait, elle, réduire le nombre de permis accordés à leurs homologues français. Mais "nous nous sommes engagés à maintenir ces accords, quelles que soient les évolutions du Brexit", a déclaré auprès du journal régional Ian Gorst, ministre des relations extérieures à Jersey.

Quant à Guernesey, la région Normandie et le département de la Manche attendent encore d’obtenir l’autorisation du gouvernement français et de l’Union européenne pour pouvoir négocier un accord local à l’image de celui de la baie de Granville.

Paul Louis