Audio et streaming: les nouveaux business du livre

En audio, en streaming, le monde du livre cherche de nouveaux débouchés. - SEBASTIEN BOZON / AFP
La France est certainement le pays le monde le plus attaché au livre papier. Ils se sont arrachés l'an passé malgré le confinement et la fermeture des librairies pendant plusieurs mois. Mais dans un secteur souvent présenté comme figé et conservateur, les innovations se multiplient.
Il y a d'abord le livre électronique, déjà ancien, qui représente un peu moins de 10% du marché du livre en valeur. En 2019, selon une étude de GfK, il rassemblait 2,3 millions d'acheteurs (contre 29 millions pour le livre classique).
Le e-book offre une simple évolution ergonomique. Mais aujourd'hui, d'autres innovations permettent au livre de se réinventer avec de nouveaux formats et de nouvelles façons de le consommer. Des usages encore marginaux mais prometteurs.
Comédiens, effets... le livre audio innove
Exemple avec le livre audio qui s'est complètement réinventé. On le connaissait sous forme de cassette puis de CD mais il se contentait souvent de proposer une version audio narrée d'un ouvrage, sans valeur ajoutée. Aujourd'hui, une firme comme Audible (une filiale d'Amazon, leader mondial dans ce segment de marché) tente d'aller plus loin dans ce format.
Le service propose 500.000 titres dont 15.000 en français. "C'est un marché qui accélère avec l'avènement du numérique et des objets connectés. Les confinements ont également fait office de levier et ont accéléré ces nouveaux modes de lecture", nous explique Bertrand Etienne, directeur général d'Audible.
"Contrairement aux autres services numériques, le livre audio n'oblige pas à être devant son écran. Il est écouté en faisant autre chose notamment à travers une enceinte connectée. Avec le confinement, l'usage a évolué et le livre audio entre dans un contexte de relaxation le soir", poursuit-il.
Son arme de séduction: la mise en scène et l'innovation. Un livre audio peut faire intervenir plusieurs voix qui campent plusieurs personnages, une ambiance sonore, des effets...
Proposer de l'immersif
Nous travaillons pour rendre le livre audio plus immersif: textes lus par des comédiens, fonds sonores. On croit beaucoup à l'innovation technologique avec la spatialisation du son comme au cinéma (son binaural). Cela ouvre de nouveaux champs des possibles. L'idée étant d'apporter une vraie complémentarité au livre papier et pas seulement une version narrée de l'ouvrage, souligne le dirigeant. Le livre audio stimule des parties différentes du cerveau que le livre papier".
"C'est beaucoup d'investissements, nous avons dépensé 10 millions d'euros en deux ans pour développer des contenus car c'est le catalogue et l'innovation qui vont faire décoller le livre audio", poursuit-il.
Evidemment, tous les livres audio ne profitent pas de ces efforts, si la fiction est plébiscitée (notamment érotique), les contenus à fort succès dédiés au coaching ou au développement personnel sont plus simples à produire.
Le succès est-il au rendez-vous? "La France est un peu en retrait par rapport au reste du monde. Le livre audio représente 1 à 2% du marché du livre contre 5% en Allemagne, 12% en Suède, 10% aux Etats-Unis", détaille Bertrand Etienne. Sur le nombre de ses abonnés (9,95 euros par mois sans engagement) et sur sa croissance, Audible reste discret. La société précise juste que les auditeurs français écoutent au moins 2 heures par semaine, par tranche de 20 minutes contre 2 heures par jour pour la moyenne mondiale. De quoi offrir une sacrée marge de progression...
S'inspirer de Netflix
Pour accélérer la dynamique, Audible mise donc sur l'innovation mais aussi les contenus exclusifs. "C'est nouveau, nous formons des narrateurs et des plumes pour créer de nouveaux formats comme une méthode de cuisine avec Cyril Lignac ou un livre sur la mythologie écrit spécialement par Amélie Nothomb. Nous préparons également une grande production avec 85 acteurs et orchestre symphonique. On est convaincu que ces innovations rendent les contenus plus immersifs", estime le dirigeant.
Ce modèle reste encore à valider mais c'est également le choix du français Rocambole qui se veut le Netflix du livre. Le concept: des ouvrages courts rédigés spécifiquement pour le service et distribués par abonnement sous forme de séries en "épisodes" en streaming sur l'écran de son smartphone.
En 2018, une étude montrait que les Français souhaitent lire plus mais qu'ils n'arrivent pas à trouver de bons moments. On s'est dit qu'il y avait quelque chose à faire, nous explique François Delporte, cofondateur. Le divertissement a beaucoup évolué ces dernières années, notamment la musique, or la lecture n'a pas connu cette dynamique exceptée le ebook, et n'a pas encore été bouffée par les GAFA".
Ces formats courts exclusifs "sont accessibles partout et sont réalisés en interne avec nos propres auteurs. On essaye de coller aux tendances actuelles, celles à succès sur Netflix par exemple", poursuit-il. 100 "séries littéraires" originales sont ainsi disponibles sur la plate-forme, diffusées en huit à dix "épisodes" de 5 minutes tandis que deux nouvelles séries sont "poussées" deux fois par semaine.
Un nouveau type d'écriture, une nouvelle source de revenus pour les auteurs
Une approche qui exige des techniques d'écriture complètement différentes: "La lecture rapide nécessite un format, on a une dizaine de critères par épisode, il s'agit notamment d'inciter le lecteur à avoir envie de lire la suite, comme un épisode de série TV", souligne François Delporte. "25 auteurs et scénaristes travaillent pour nous et on vient de signer avec des auteurs connus", preuve que les nouveaux formats intéressent, notamment comme source complémentaire de revenus. Les propositions de collaboration sont d'ailleurs très nombreuses, assure le responsable mais "nous n'en retenons que 5%".
Rocambole propose un modèle freemium (un épisode par jour accessible gratuitement pendant un ou deux mois) pour "donner envie", l'accès complet étant facturé 3,99 euros par mois ou 40 euros par an. La société a moins de deux ans et a séduit 2500 personnes (qui consomment 15 minutes par jour). C'est encore peu mais le point intéressant est que la moitié de ces abonnés "redécouvrent la lecture", il s'agit donc d'utilisateurs qui avaient abandonné les livres papier.
Si l'usage est encore marginal, les investisseurs y croient: "nous avons levé 350.000 euros en 2020 et nous préparons un nouveau tour de table cette année, on va devoir lever beaucoup d'argent pour avancer", annonce le fondateur. Tout comme les grandes maisons d'édition classiques "qui nous regardent de très près".
On est complémentaire", assure François Delporte "d'autant plus que nous produisons beaucoup de data issues de nos utilisateurs qui permettent de repérer les tendances et les intérêts des lecteurs".