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Attentat de la basilique de Nice: au procès, l'accusé soutient toujours qu'il a perdu la mémoire et suscite la colère

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Le procès de l'attentat de la basilique de Nice, perpétré le 29 octobre 2020, a débuté ce lundi devant la cour d'assises spéciale de Paris. L'accusé, Brahim Aouissaoui, de nationalité tunisienne affirme pourtant n'avoir aucun souvenir des faits. Une défense fragilisée par plusieurs éléments du dossier.

Réelle perte de mémoire ou stratégie de défense? Ce lundi 10 février, au premier jour du procès de l'attentat de la basilique de Nice en 2020, l'accusé Brahim Aouissaoui a une nouvelle fois expliqué qu'il ne se souvient pas de faits pour lesquels il est jugé devant la cour d'assises spéciale de Paris: trois assassinats et six tentatives d'assassinat en relation avec une entreprise terroriste. Il encourt la réclusion criminelle à perpétuité.

Le 29 octobre 2020, le Tunisien, aujourd'hui âgé de 25 ans, pénètre dans la basilique armé d'un couteau de cuisine et s'en prend à plusieurs personnes. Trois sont tuées: Nadine Devillers, fidèle de 60 ans victime d'une "décapitation presque totale" selon les mots du président de la cour et dont le corps portait 17 plaies, Simone Barreto Silva, mère de famille franco-brésilienne de 44 ans et le sacristain Vincent Loquès, 55 ans, père de famille.

L'Église de France s'est constituée partie civile en tant qu'institution "pour demander que soit retenue la qualification aggravante d'attentat terroriste en raison de la religion, ceci parce que les personnes ont été assassinées au sein de la basilique et qu'il est assez évident que Brahim Aouissaoui est venu pour assassiner des gens dans une église", indique l'archevêque de Reims Éric de Moulins-Beaufort, président de la Conférence des évêques de France et chef de file de l'Église catholique française.

"Comment aurais-je pu tuer trois personnes?

Ce lundi, l'accusé Brahim Aouissaoui apparaît en veste blanche, cheveux longs et petite barbichette. Son visage est gris, sa voix est fluette. Ses prises de parole sont traduites en Français par un interprète.

"Je ne me souviens pas des faits, je n'ai rien à dire, comment aurais-je pu tuer trois personnes?", assure-t-il lors d'une brève prise de parole sur les faits.

Un "va te faire mettre" fuse dans la salle, lancé par le fils d'une des victimes. "Je ne comprends pas pourquoi j'ai été insulté" rétorque l'accusé. Le président demande à la personne en question de sortir de la salle.

Durant les six interrogatoires devant le magistrat instructeur, Brahim Aouissaoui affirme ne se souvenir de rien, ni sur les faits, ni sur sa jeunesse en Tunisie, ni sur la religion. Des médecins ont été mandatés pour voir si les huit balles qu'il a reçues lors de sa neutralisation par la police municipale ont pu altérer sa mémoire. 

Le jeune homme n'a "pas eu de blessure ou de traitement susceptible d'entraîner des pertes de mémoire" disent les experts, cités par le président.

En revanche, le stress post-traumatique pourrait expliquer ces pertes de mémoire. Ou alors une forme d'anesthésie à l'issue de son opération, mais qui n'aurait pas dû entraîner des pertes de mémoire au-delà de trois à quatre jours avant les faits.

Plusieurs éléments du dossier jouent contre l'accusé

La réalité de la perte de mémoire de Brahim Aouissaoui a souvent été questionnée pendant l'instruction. D'autant plus que sur des écoutes menées alors qu'il est en détention, il semble se souvenir de certaines choses. Il se serait même vanté auprès d'autres détenus d'avoir commis un attentat, selon l'administration pénitentiaire.

En 2022, il est par ailleurs suspecté d'avoir préparé un attentat avec une lame de rasoir au sein de la prison dans laquelle il était détenu. Ce qui fait dire à un expert que ses pertes de mémoire s'apparentent à un "système de défense, un refus de collaboration, et que son discernement est entier". Ce sera l'enjeu principal de ce procès.

Me Samia Matkouf, avocate de la famille du sacristain a dénoncé une stratégie de défense marquée par le "mutisme" et le "déni de cet accusé qui essaie de se cacher derrière une amnésie jouée, qui n'a pas lieu d'être".

Citant les avis des médecins et des toxicologues, l'avocat du mari de Nadine Devillers, Me Philippe Soussi, a de son côté rappelé que "le jour des faits, la veille des faits ou l'avant-veille des faits, l'accusé n'était sous l'emprise d'aucun toxique, cannabis, cocaïne, GHB, (...) c'est important de le savoir".

Le président de la cour a par ailleurs rappelé ce lundi le contexte dans lequel a été perpétré l'attentat de la basilique: deux semaines avant les faits, Samuel Paty était assassiné par Abdoullakh Anzorov, islamiste russe d'origine tchétchène âgé de 18 ans. Des photos du terroriste et des hommages à Samuel Paty seront retrouvés dans le matériel informatique du suspect, alors que ce dernier se trouve alors en Sicile.

L'avocat de la défense évoque une amnésie "irréversible"

Autant d'éléments que dit entendre l'avocat de Brahim Aouissasoui Me Martin Méchin, mais qu'il affirme pouvoir contredire au moyen notamment d'autres expertises médicales: "Nous avons des experts psychiatres réputés, notamment un neuropsychiatre réputé et un psychiatre réputé qui sont venus conclure qu'effectivement, ils pouvaient constater chez M. Aouissaoui une amnésie 'irréversible'".

"On ne peut pas forcer des réponses, on ne va pas inviter des choses. Si M. Aouissaoui ne s'en souvient pas, il ne s'en souvient pas", insiste l'avocat de la défense.

Me Martin Méchin émet par ailleurs "une interrogation" sur l'"état de santé mental" de son client, "sur la capacité qui est la sienne à comprendre les enjeux du procès, sur sa capacité à comprendre les questions qu'on lui pose, l'ampleur de ce qu'on lui reproche, l'ampleur des éléments en charge". Il estime que son état psychiatrique a pu être dégradé par son régime de détention "très strict" pendant trois ans et appelle à ce qu'un examen psychiatrique soit conduit rapidement, si possible cette semaine.

Si l'avocat ne demande pas de suspension des audiences le temps que les résultats de l'expertise soit connus, il évoque la possibilité que le procès soit finalement renvoyé si l'état de santé de son client l'oblige.

L'audience de ce lundi a été suspendue à 15 heures. Elle doit reprendre mardi à 9h30 avec l'audition d'un expert psychiatrique. Mardi après-midi, l'accusé sera interrogé sur sa personnalité.

Matthias Tesson et Glenn Gillet