"On va vers un crash si rien n'est fait": le Sénat prévient que l'industrie automobile française et ses 800.000 emplois risquent de disparaître

"Crise profonde et durable", "crash", risque de "disparition": un rapport du Sénat dresse un tableau très sombre de l'industrie automobile en France et préconise une vingtaine de mesures pour éviter que la France devienne une simple "consommatrice" de véhicules. "On va vers un crash si rien n'est fait", a estimé Alain Cadec (LR), redoutant un avenir semblable à celui de la sidérurgie pour cette industrie qui emploie 800.000 personnes en France (350.000 chez les constructeurs et 450.000 chez les équipementiers et les sous-traitants).
Chute de 20% des ventes de véhicules particuliers en France après la crise de la Covid-19 (par rapport aux cinq années précédentes), baisse de 12 points de la part de la France dans la production automobile européenne entre 2000 et 2020, tissu industriel "miné par deux décennies de délocalisation": le rapport énumère les points noirs de ce secteur.
Une filière qui est pourtant "la colonne vertébrale de l'industrie en France", a déclaré Dominique Estrosi Sassone (LR), présidente de la commission des affaires économiques du Sénat, lors d'une conférence de presse.
La concurrence chinoise fait mal
Ce rapport est publié peu après l'annonce par Stellantis (né de la fusion entre PSA et Fiat-Chrysler) de la mise à l'arrêt de plusieurs de ses usines pour plusieurs jours à Poissy, Sochaux et Mulhouse, après des annonces similaires concernant des sites en Allemagne, Espagne, Pologne et Italie. Le deuxième constructeur européen (Citroën, Fiat, Opel, Peugeot...) a expliqué vouloir "adapter le rythme de production à un marché européen difficile". Mardi soir, il a annoncé l'investissement le plus élevé de son siècle d'histoire, de 13 milliards de dollars sur quatre ans... aux États-Unis.
Renault de son côté a confirmé début octobre mener "des réflexions" face aux "incertitudes du marché", après des informations de presse évoquant 3.000 suppressions de poste dans le monde, y compris à son siège à Boulogne-Billancourt, près de Paris. Le groupe n'a pris encore "aucune décision", avait-il toutefois souligné.
Deux raisons majeures aux déboires de la construction automobile, selon Annick Jacquemet (Union centriste): "la contraction sans précédent du marché" et "la concurrence par des acteurs extra-européens", au premier rang desquels la Chine. Face à ce constat, le rapport liste 18 "mesures d'urgence", dont l'imposition d'un contenu local à 80% pour les véhicules vendus en Europe, avec un objectif d'au moins 40% de batteries produites localement en 2035.
"Petites voitures abordables"
Y figure également le report de l'interdiction de la vente de voiture thermiques neuves (moteur à essence, diesel, hybride) dans l'UE à partir de 2035, souhaité également par le chancelier allemand Friedrich Merz, qui a dit la semaine dernière qu'il "fera[it] tout" pour. Le chef du gouvernement allemand est soutenu par les acteurs de la filière auto traditionnelle en Europe. Mais d'autres, tels que les constructeurs de véhicules électriques, fabricants de batteries ou opérateurs de recharges, ONG du climat, appellent la Commission européenne à ne pas reculer.
La décarbonation du secteur automobile est considérée comme une étape clé pour que l'UE remplisse ses objectifs de réduction d'émissions réchauffantes pour la planète. Pour le rapport, cette date butoir de 2035 "fragilise les constructeurs européens pris en étau" entre la contraction du marché et "les investissements colossaux" à mener pour basculer sur l'électrique.
Rémi Cardon (PS) a rappelé "l'intérêt de rouler en véhicule électrique sur le long terme", mais "la difficulté est le coût d'entrée", les voitures électriques étant encore plus chères à l'achat que les thermiques. Le rapport recommande ainsi de "flécher les soutiens publics pour favoriser la production de petits véhicules abordables". Les constructeurs français ont en effet privilégié la fabrication de modèles plus haut de gamme, dotés d'une marge plus élevée. À titre individuel, Rémi Cardon propose également un renforcement de l'aide à l'achat de voitures électriques pour les ménages de la classe moyenne et une étendue de ce dispositif à l'échelle européenne.