Christkindel, sapin et marché... D'où viennent les traditions de Noël en Alsace?

Le sapin de Noël de la place Kléber, à Strasbourg, le 3 décembre 2017. - PATRICK HERTZOG / AFP
"De toutes les fêtes, laïques ou religieuses, qui sont nombreuses en Alsace, Noël est resté la plus populaire, la plus belle, la plus symbolique." Le magazine Globe écrivait en 1944 des mots qui restent encore vrais à ce jour: la période de Noël est un moment indéniablement associé au territoire alsacien.
Des premiers écrits mentionnant les sapins de Noël à Strasbourg, aux marchés qui attirent désormais des millions de visiteurs chaque année, l'Alsace comptent de nombreuses traditions associées à la période de Noël et de l'Avent.
• La tradition du sapin de Noël
Véritable symbole de cette période, le sapin de Noël est mentionné pour la première fois en 1492, indique la ville de Strasbourg. Les sapins étaient à l'origine installés dans des lieux publics, notamment devant dans les églises. C'est au 18e siècle qu'ils ont fait leur apparition dans les maisons. Ils étaient d'ailleurs à l'origine suspendus au plafond, et décorés de denrées comestibles, comme des pommes.
"Une légende raconte qu'une pénurie de pommes a inspiré les verriers de Meisenthal à créer les célèbres boules en verre soufflé", rapporte la ville de Strasbourg.
La tradition s'est ensuite répandue dans le reste de l'Alsace, dans les pays germaniques et l'Europe centrale, avant de s'exporter en Amérique. Associé à ce sapin s'est également développée la tradition des arbres de Noël pour le public.
"L’association générale d’Alsace-Lorraine célèbre tous les ans sa fête de l’Arbre de Noël. Elle a lieu dans la salle de l’hippodrome, qui est décorée de drapeaux tricolores. Au centre se dresse l’arbre de Noël, véritable sapin coupé en pleine forêt des Vosges et planté dans de la terre apportée d’Alsace-Lorraine même", écrivait le journal Le Mémorial de Lombez dans son édition du 25 décembre 1892.

Si le journal littéraire rapporte que cette tradition de l'arbre de Noël a été lancée dans la capitale, elle n'en reste pas moins liée à l'Alsace, puisque qu'elle a été créée pour "la colonie alsacienne-lorraine de Paris".
"Depuis 1870, une bien touchante cérémonie se célèbre à Paris. Un sapin des environs de Mulhouse est expédié dans cette ville et placé dans la grande salle du Châtelet. On l’orne de bougies, de jouets, de cadeaux qui sont distribués à plusieurs milliers d’enfants", confirme Le Courrier de Metz en 1897.
• Le marché de Noël historique
Aujourd'hui, l'illumination du grand sapin de Noël de Strasbourg marque le point de départ de la période de l'Avent et le lancement du traditionnel marché de Noël.
Ce dernier fait d'ailleurs partie de l'une des plus vieilles traditions d'Alsace, né en 1570 et baptisé Christkindelsmärik, du nom du personnage emblématique de cette période, le Christkindel.
L'historien Bernard Vogler, dans sa participation à l'ouvrage La Nativité et le temps de Noël, évoque le marché de Noël comme l'un des cinq éléments qui a permis de développer des célébrations de Noël telles qu'on les connaît aujourd'hui.
"Sa durée est longtemps limitée à trois jours à la veille de Noël. Installé devant la cathédrale, il est transféré en 1830 sur la place Kléber, puis en 1871 sur la place Broglie où il est établi jusqu’à l’heure actuelle. Au 20e siècle sa durée s’est élargie à toute la période de l’Avent : il débute régulièrement le dernier samedi de novembre et baisse le rideau le 24 décembre en fin d’après-midi", explique-t-il dans son ouvrage.
Aujourd'hui, des marchés de Noël existent dans toute l'Alsace, mais la ville de Strasbourg maintient la tradition du Christkindelsmärik sur la place Broglie, proposant des plats traditionnels alsaciens et des décorations pour le sapin et la table du réveillon.
• Des cadeaux pour les enfants sages
Le Christkindel, qui a donné son nom au marché de Noël historique en Alsace, est l'un des personnages emblématiques de la région durant les fêtes de fin d'année. Apparu au 16e siècle comme une représentation de l'enfant Jésus, le Christkindel est une jeune femme qui vient distribuer des cadeaux aux enfants sages. Une tradition lancée par la réforme protestante pour se détacher d'autres personnages plutôt catholiques, comme le Saint Nicolas.
"Le conseil municipal de l'époque décide de supprimer une tradition plus ancienne, qui est celle de la Saint Nicolas, et de remplacer cette tradition par celle du Christkindel, l’enfant Christ. Cette histoire d’un bébé qui apporte des cadeaux, elle n’a pas vraiment pris. Donc les gens ont transformé cet enfant Jésus en une jeune femme", explique sur le site de la ville de Strasbourg Adrien, du Musée alsacien de la ville.
Au-delà d'un personnage de Noël pour pousser les enfants à être sages, le Christkindel a aussi une dimension plus mystique. "Elle représente la victoire de la lumière face aux ténèbres, au moment de Noël qui est aussi à quelques jours près le moment du solstice d'hiver, donc la nuit la plus longue de l'année", poursuit le Musée alsacien de Strasbourg.

C'est d'ailleurs pour cela que le Christkindel est souvent représenté allant de pair avec Hans Trapp, "qui représente les ténèbres", cousin du père Fouettard qui vient punir les enfants pas sages.
"C’est un personnage habillé tout en noir, c’est un peu le méchant de Noël (...) On raconte que les enfants pas sages, il les met dans son sac, et il les emmène dans son château du Bertwartstein, où il les enferme dans des oubliettes, enchaînés."
Une légende, qui prend racine dans la région de Wissembourg (Bas-Rhin), parle d'un seigneur ayant vraiment existé dans les années 1500 et décrit comme terrible: Hans von Trotta, qui aurait mené à la légende du Hans Trapp.
Le soir du 24 décembre, le Christkindel et Hans Trapp visitent ensemble les enfants alsaciens, pour les récompenser ou non.
"Par les rues, ce couple s’en va, frappant aux portes, donne des joujoux ou des réprimandes et finit en somme par conduire les bons enfants et les mauvais -naturellement repentants- devant l’arbre de Noël de la maison, couverte de cadeaux pour tout le monde, que cette bonne Christkindel a fait descendre du ciel, comme vous pensez bien", racontait Georges Rocher dans le journal Le Réveil de l'Aisne en 1912.
• Le personnage emblématique du Saint Nicolas
L'autre personnage emblématique de la période de Noël en Alsace reste bien entendu le Saint Nicolas, dont la légende remonte déjà au Moyen-Âge. Les enfants alsaciens attendent sa visite dans la nuit du 6 décembre pour avoir des petits cadeaux.
"C’est un évêque, habillé en rouge, avec une crosse -un grand bâton- et une mitre -son chapeau-, qui vient récompenser les enfants sages le 6 décembre, en Alsace et dans d’autres régions d’Europe", explique le Musée alsacien de Strasbourg.
Le personnage a historiquement existé: il s'agissait de l'évêque de Myre Asie mineure (l'actuelle Turquie) qui a vécu au 4e siècle.
Aujourd'hui, le Saint Nicolas visite les enfants avec son âne pour déposer des friandises dans leurs chaussures, tandis que les enfants préparent carotte, pomme et bredele pour le Saint Nicolas et son âne. Là où la tradition américaine veut qu'on laisse un verre de lait pour le père Noël et ses rennes, en Alsace, c'est un verre de schnaps qu'on prépare pour le Saint Nicolas.
"Normalement, quand les enfants descendent l’escalier, la carotte a disparu, il ne reste plus qu’un trognon de pomme, le verre de schnaps est vide, par contre, dans les chaussures, on va retrouver des chocolats, des clémentines, des bredele, parfois des petits jouets."
• Un repas et des pâtisseries pour Noël
Comme partout en France, Noël avait à l'origine une dimension religieuse. Il était donc important de se rendre à la messe de minuit. Mais au fil du temps, ces célébrations religieuses ont parfois laissé place à de véritables productions.
"Les services divins ne suffisaient pas à la célébration de Noël, on allait jusqu’à organiser à l’intérieur des églises des représentations théâtrales au cours desquelles étaient représentées, par exemple, la Naissance miraculeuse de Marie, son mariage avec Joseph, l’adoration des bergers et des mages, etc.", explique en 1923 la revue La Pensée française.
C'est au retour de la messe que commençait réellement le réveillon de Noël. Déjà au Moyen-Âge, un menu particulier se mangeait à ce moment de l'année.
"Nous apprenons, par un statut de Henri de Horbourg, évêque de Bâle, du douzième siècle, que les chanoines de cette ville mangeaient à Pâques et à Noël du saumon relevé avec une saumure en gelée, de la morue à la moutarde, du saumon cuit à l’huile et aux poireaux, des truites au vinaigre, des brochets au poivre et des ablettes frites à l’huile", relate l'historien Charles Gérard dans son oeuvre de 1877, L'Ancienne Alsace à table.
Outre les traditionnels bredele, des pâtisseries sont également associées à cette période. "Schnekle, Hase, pains au lait qui ont emprunté leurs noms à leur forme (lièvre, escargot) ; ils sont usités aux fêtes patronales et à Noël. À Mulhouse, où on les donne à la Saint Nicolas, il se tient ce jour-là un véritable marché de cette pâtisserie", poursuit l'historien.
Encore à ce jour associé à la période de Noël, le pain d'épices est aussi depuis des siècles un mets que l'on s'offre à cette période. Il apparaît notamment dans des textes alsaciens datant de 1412, dans un manuscrit de l'hôpital de Strasbourg.
"Pour la fête de Noël, il faut donner un grand pain d’épices ou deux petits à chaque malade lépreux", rapporte Roland Oberlé, auteur d'Histoires du pain d'épices (éditions Hirlé, 2009).
Aujourd'hui, la ville de Strasbourg se revendique Capitale de Noël et a accueilli en 2023 plus de 3 millions de visiteurs sur son marché de Noël. De nombreux autres marchés de Noël ouvrent leurs portes au public à cette période de l'année, comme à Colmar, Riquewihr, Mulhouse ou encore Kaysersberg... Autant d'événements qui ont fait de l'Alsace une terre renommée de Noël.