Personnalités contestataires, créateur complotiste, audiences en hausse: qui se cache derrière la chaîne Youtube Thinkerview?

La chaîne Youtube Thinkerview - Montage Tech&Co
Un cygne noir, des miniatures en noir et blanc, des sujets aux titres très accrocheurs... Depuis 2013, la chaîne Thinkerview, présente sur Youtube et la plateforme Peertube, propose des entretiens avec différentes personnalités politiques et de la société civile. Elle connaît ces derniers mois une explosion de ses statistiques de visionnages, et adopte sur les réseaux sociaux un ton volontairement cash afin de multiplier les reprises.
Aux origines de Thinkerview, il y a un homme: Léonard Sojli. S'il a quitté la chaîne - qui se dit "indépendante" - il a forgé à lui seul la ligne éditoriale qui prévaut encore aujourd'hui. Celui-ci a depuis viré vers l'extrême droite, portant haut et fort plusieurs théories complotistes liées au mouvement QAnon.
Une volonté de mettre en avant des sujets qui font débat
C'est néanmoins l'épisode des gilets jaunes qui va véritablement porter ce "think-tank" se décrivant comme "non inféodés à des parties politiques ou des intérêts privés" en gagnant plus de 100.000 abonnés en quelques semaines. Outre la publicité qui peut apparaître sur Youtube, Thinkerview tire ses moyens des plateformes de don. Sur Tipee, elle affiche ainsi plus de 2.005 "tipeurs" lui reversant 16.300 euros par mois (soit une moyenne de 8 euros par personne). Si la vaste majorité des mécènes ne reversent que 5 euros, on trouve néanmoins plusieurs donneurs au-dessus des 200 euros.
Sa spécialité? Des entretiens "sans montage" et diffusés le plus souvent en direct. Malgré la longueur - la plupart d'entre-eux dépassent l'heure - le succès est au rendez-vous. Celui avec Elise Lucet affiche 1,4 million de vues, tandis que le direct avec Charles Gave et Olivier Delamarche dépasse les 6 millions de vues.

À chaque fois, le concept est le même: un animateur surnommé Sky - qui reste anonyme - vient poser les questions quand il ne s'agit pas d'un débat.
C'est néanmoins ce profil qui interpelle. Selon les informations du site spécialisé dans le complotisme en ligne Conspiracy Watch, celui-ci est un proche du pouvoir russe - il a ainsi été invité à une rencontre avec le ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov "par curiosité", expliquera-t-il plus tard à Libération. Il est aussi un utilisateur régulier de ReOpen911, un forum mettant en doute la réalité des attentats du 11 septembre 2001 ".
D'une manière générale, Thinkerview a fait du débat d'idées franches sa principale marque de fabrique, pour peu qu'elles soient contestataires. Cela passe par des sujets aux titres volontairement exagérés, comme cet entretien avec Juan Branco sur un supposé "empoisonnement" dont il aurait été victime ou encore plus récemment celui avec Rima Hassan, dans lequel on constate que l'eurodéputée critique vertement son collègue de La France insoumise Aymeric Caron.
"La culture du caché"
Néanmoins, comme le constate le spécialiste des théories du complot Rudy Reichstadt sur Franceinfo, la majorité des sujets surfent le plus souvent sur "la culture du caché", autrement dit avec un sous-entendu laissant penser qu'un complot se cache derrière un entretien.
Il n'est ainsi pas étonnant de voir des personnalités contestataires, mais pas toujours d'extrême droite. Car aux côtés de Michel Onfrey (philosophe polémiste classé à droite), Sarah Knafo (Reconquête), Philippe de Villiers (ancien dirigeant de la droite conservatrice et royaliste) et Idriss Aberkane (polémiste à tendance complotiste), on peut également trouver David Lisnard (maire de Cannes), Charles de Courson (député Liot) ou encore l'humoriste Aroun et les députés LFI David Guiraud et Éric Coquerel.
Tous ont néanmoins droit à une thématique contestataire. Thinkerview profite ainsi de l'absence de pouvoir de l'Arcom sur Youtube pour laisser libre cours à des théories complotistes sans contradiction - comme cet entretien de Gaël Giraud, économiste au CNRS, affirmant qu'Emmanuel Macron serait "sous la coupe" du banquier David de Rothschild.
La volonté est également de proposer des invités en lien avec l'actualité (nationale ou internationale) la plus forte, comme les gilets jaunes en 2018-2019, mais aussi en ce moment avec le vote de confiance de François Bayrou et le 10 septembre. Une manière pour Thinkerview de privilégier avant tout les ressorts d'engagement. Sur les réseaux sociaux, les extraits d'entretiens ne manquent pas, souvent partagés par des comptes affiliés à l'extrême droite, mais également relayés par intermittence par l'extrême gauche.
Si la chaîne n'a pas le poids d'un média classique, elle n'en demeure pas moins un passage semble-t-il obligé des politiques et personnalités médiatiques. À condition de contester le pouvoir en place.