Anciens gilets jaunes, complotistes et France Insoumise: d'où vient le mouvement du "Bloquons tout" du 10 septembre?

Depuis l'annonce de François Bayrou de solliciter un vote de confiance le 8 septembre 2025 et le risque qu'il soit désavoué par les parlementaires, le mouvement "Bloquons tout" a pris un nouveau tour. Lancé il y a quelques mois seulement, en ligne, il entend "bloquer la France" à la manière d'une "grève générale" le 10 septembre prochain. Une manière de signifier la volonté de mettre le pays à l'arrêt.
Cette journée de mobilisation imaginée à la base sur les réseaux sociaux a depuis été reprise par plusieurs organisations politiques et syndicales, dont la France Insoumise et le Rassemblement national.
Un mouvement né à l'extrême droite
Aux origines du projet, qui fait trembler les institutions, un compte Tiktok baptisé "Les Essentiels". Ce dernier se présente comme un groupe souverainiste, né dans le nord de la France, et qui souhaite le "frexit", que le pays quitte l'Union européenne.
L'appel a été lancé au printemps dernier sans rencontrer d'échos particulier, avant que d'autres s'emparent du projet et imagine le mouvement "Bloquons tout", qui communique essentiellement sur Telegram auprès de plusieurs milliers d'abonnés: "Ils nous méprisent, nous répondons", lance-t-il d'ailleurs, dans un message relayé massivement sur les réseaux sociaux.
"Indignons-nous", qui s'est joint à cette mobilisation, a de son côté l'idée de proposer plusieurs solutions afin de mieux se faire entendre. Il est d'ailleurs plutôt axé à gauche comme semble le prouver son vocabulaire et ses idées en faveur d'une meilleure répartition des efforts budgétaires que souhaitent instaurer Emmanuel Macron et François Bayrou.
Reste que les deux groupes se sont rassemblés dans un objectif commun et souhaite "une mobilisation maximum", en évitant soigneusement de faire appel à des personnalités politiques ou syndicales. L'aube d'un nouveau mouvement "Gilets jaunes" est d'ailleurs largement mis en avant afin de déboucher sur des propositions "apolitiques" qui s'éloignent de manière draconienne des partis traditionnels.
Les complotistes ont pris le relais
Cela n'a toutefois pas empêché la fine fleur du complotisme de se joindre à ce mouvement, dont des groupes affiliés à "QAnon", cette mouvance cryptique adepte des théories du complot et soutenu par Donald Trump. Sur Telegram, QAnon France a également appelé à "tout arrêter": "Trop, c'est trop, des milliards aux grandes entreprises, des plans sociaux partout, des services publics qui s'effondrent. On arrête tout. Grève, blocages, actions locales, soyons des milliers à dire stop."
Le message précise néanmoins être "sans étiquette" mais appelle néanmoins les syndicats à "rejoindre l'appel à la grève".
Le catalyseur de ce mouvement va néanmoins être les annonces budgétaires de François Bayrou, avec des économies de plusieurs dizaines de milliards d'euros prévues par le gouvernement. C'est au tout début de l'été 2025 que "Bloquons tout" devient suffisamment virale pour devenir un véritable sujet politique. Les médias, qui ne s'intéressaient jusqu'à présent pas du tout au mouvement, vont relayer des appels de citoyens ou d'anciens gilets jaunes.
Les revendications deviennent également plus radicales, notamment de la part des "Essentiels" qui veulent réaliser "un confinement général" ou "citoyen" sur plusieurs jours ou semaines.
Un appel qui monte encore en puissance lorsque la France Insoumise appelle à la mobilisation citoyenne par la voix de Jean-Luc Mélenchon le 16 août. L'arrivée dans l'arène du triple candidat à la présidentielle change alors la donne, même si Philippe Poutou, du NPA, avait pris la parole dès le 3 août. Comme le constate Le Monde, le canal Telegram des Essentiels devient l'objet de "foires d'empoignes entre l'extrême droite et l'extrême gauche". On est donc désormais très loin d'un mouvement "apolitique".
Les données de recherche sur le hashtag et le mot clef "Bloquons tout", mais aussi sur la date du 10 septembre, montrent une forte augmentation de l'intérêt des Français pour cette mobilisation depuis la prise de position des responsables politiques. Sur Tiktok, on recense des vidéos à plusieurs millions de vue, notamment celle d'un influenceur précisant les modalités d'une grève pour les salariés.
Le cabinet Visibrain explique par ailleurs qu'autour des mots clefs "10 septembre 2025" et "bloquons tout", on retrouve aussi le registre classique de la contestation politique en cours, avec notamment François Bayrou, Emmanuel Macron, mais aussi "macron dégage" et "macron destitution".
Un mouvement protéiforme poussé par des pays étrangers
La multiplication des groupes, des appels qu'ils soient politiques ou non, ne permet toutefois pas de quantifier concrètement la portée des messages relayés. Si l'arrivée des partis politiques et des syndicats dans cette bataille a certainement changé la donne, il devient difficile de savoir si le mouvement sera véritablement suivi - alors même qu'il intervient au beau milieu d'une semaine de rentrée.
A cela s'ajoutent les ingérences étrangères. Interrogées sur le sujet, les équipes de Viginum, le service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères, confirment des "amplifications" spécifiquement liées au 10 septembre de la part de pays étrangers. Plusieurs pays sont cités, dont la Russie et l'Iran, cherchant des opportunités pour relayer des messages pouvant donner lieu à la déstabilisation des institutions.
Par rapport à d'autres événements importants, comme une présidentielle ou des législatives, "Bloquons tout" semble avant tout être relayé par des comptes d'extrême droite et d'extrême gauche, et par des complotistes. Antoine Bristielle, chercheur en sciences politiques et directeur de l'observatoire de l'opinion de la Fondation Jean Jaurès indiquait par ailleurs au Monde, le 1er septembre, après avoir mené une étude en ligne auprès de 1089 personnes, que ce mouvement semble davantage porté par une "forte politisation à gauche et une volonté d'engagement 'pour les autres'".
Des faux comptes pour accélérer la tendance
Selon le cabinet spécialisé Visibrain, des opération "d'astroturfing", de faux comptes relayant un même message, sont aussi en cours, notamment sur X. L'un des comptes incriminés publie ainsi jusqu'à plus de 1.000 tweets par jour en plaçant les mots clefs tendance sur le mouvement.
"Ces faux comptes ont largement contribué à 'booster' le mouvement et à lui donner une plus grande visibilité," explique Thierry Herrant, expert en communication publique. "Prenons le hashtag #BloquonsTout par exemple: les 15 messages les plus relayés émanent de faux comptes (très) suspects, représentant les 3/4 tweets et retweets associés. De toute évidence, ce surcroît de visibilité sur X a produit son effet."
Pas de quoi faire peur aux forces politiques qui se sont désormais emparées de cette mobilisation. La France Insoumise a publié sa tribune appelant à soutenir le mouvement, plus tard appuyée par le parti Communiste et les Ecologistes. C'est ensuite la CGT qui s'est fait le plus entendre avec un appel à "construire la grève partout où c'est possible" une fois le comité confédéral national réuni, qui a validé cet objectif.
Par rapport aux Gilets Jaunes, qui avait vu des centaines de milliers de personnes se réunir autour d'une vie jugée "trop chère", le mouvement "Bloquons tout" reprend certains codes, dont l'absence de structure et la spontanéité de son raisonnement. Il espère faire au moins aussi bien qu'en 2018. Reste à savoir si le vote de confiance demandé par François Bayrou, et qui pourrait aboutir à la fin de son gouvernement - et de facto, à l'arrêt des débats sur le budget 2026 - ne va pas tuer dans l'oeuf une éventuelle mobilisation massive des citoyens.