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Un gouvernement pourrait-il un jour rationner internet?

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L'ancienne ministre de l'Education nationale, Najat Vallaud-Belkacem, appelle à mettre en place un rationnement d'internet, notamment pour limiter l'empreinte écologique du numérique.

Notre consommation de données en ligne pourrait-elle un jour être rationnée? C'est le souhait de Najat Vallaud-Belkacem, ancienne ministre de l'Education nationale. Dans une tribune publiée sur le site du Figaro, elle appelle à limiter la consommation de données des Français de façon coercitive, allant jusqu'à évoquer, pour illustrer son propos, une limitation légale à 3 gigaoctets (Go) par semaine et par internaute.

Ses arguments évoquent pêle-mêle l'intérêt supposé de cette régulation pour limiter les émissions carbone, mais aussi pour le bien-être collectif, forçant aux yeux de l'ancienne ministre à nous "détoxiquer" de l'usage compulsif des réseaux sociaux.

Le précédent Hadopi

Mais une telle mesure serait-elle envisageable? Sur ce point, certains avis divergent. Sur Twitter, Matthieu Audibert, officier de gendarmerie spécialiste dans la cybersécurité, rappelle la décision du Conseil constitutionnel du 10 juin 2009, concernant la loi Hadopi.

L'une des principales mesures visait à sanctionner les internautes ayant téléchargé illégalement des films en leur coupant l'accès à internet. Un point retoqué par le Conseil constitutionnel, qui avait évoqué la Déclaration des droits de l'homme, et notamment la libre communication des pensées et des opinions par le biais des services de communication au public en ligne. Aux yeux du Conseil constitutionnel, le piratage d'un film n'était ainsi pas un motif légitime pour priver les citoyens du droit à utiliser internet.

Mais pour autant, la préservation d'autres intérêts pourrait-elle justifier la privation de cette liberté au regard de la Constitution? Notamment en imposant un quota de gigaoctets à ne pas dépasser?

C'est une hypothèse qui semble plausible, d'après l'analyse d'Alexandre Archambault, avocat spécialisé en droit du numérique. Car comme il le rappelle auprès de Tech&Co, la Charte de l’environnement est intégrée au bloc de constitutionnalité, et ce depuis 2005.

"Caractère inconstitutionnel loin d'être acquis"

En 2020, le Conseil constitutionnel avait par exemple estimé que la liberté d'entreprendre, à valeur constitutionnelle, pouvait être limitée afin de protéger l'environnement.

"Le Conseil constitutionnel considère qu'on peut restreindre une liberté au nom d'une autre liberté, tant que cela reste proportionné. La question n'a jamais été spécifiquement posée pour le cas d'internet, mais le caractère inconstitutionnel est loin d'être acquis" résume Alexandre Archambault, auprès de Tech&Co.

Mais la mise en place d'une telle mesure - qui n'a jamais été décidée ailleurs dans le monde - semble pour le moins hypothétique. Tout d'abord parce qu'aucun parti politique ne la porte, à l'image de la majorité actuelle et du gouvernement, qui a vivement taclé l'idée ce 18 octobre.

De son côté, le député Renaissance des Côtes-d'Armor, Eric Bothorel, a évoqué une "tribune qui mélange poncifs, approximations et erreurs manifestes".

Quand bien même une loi serait portée par une majorité et jugée constitutionnelle, encore faudrait-il qu'elle franchisse une autre étape cruciale, rappelle Alexandre Archambault: une approbation par la Commission européenne.

Au cours des derniers mois, cette dernière n'a pas hésité à menacer de détricoter des mesures liées au numérique portées par le gouvernement et adoptées par le Parlement, comme le bannissement des réseaux sociaux ou la majorité numérique à 15 ans.

https://twitter.com/GrablyR Raphaël Grably Rédacteur en chef adjoint Tech & Co