Bannissement des réseaux sociaux: l'Union européenne demande au gouvernement de revoir sa copie

Que restera-t-il des mesures du gouvernement liées au numérique? Cet été, le Commissaire européen au Marché intérieur, Thierry Breton, menaçait de retoquer la loi influenceurs et la loi sur la majorité numérique. Désormais, et comme le révèle le média Contexte, la Commission européenne s'attaque au projet de loi de sécurisation de l'espace numérique, adopté par l'Assemblée nationale ce 17 octobre et qui doit désormais passer en commission mixte paritaire. Parmi les mesures visées: le bannissement des réseaux sociaux, mis en avant par le gouvernement dans le cadre du harcèlement en ligne ou des émeutes.
Régulation des plateformes réservée à Bruxelles
Une nouvelle fois, la Commission européenne reproche au gouvernement français de chercher à réguler les grandes plateformes en ligne. Un sujet qui ne peut pourtant pas être traité au niveau national, aux yeux de Bruxelles, mais uniquement au niveau européen.
"Le projet de loi notifié relève du champ d’application du DSA" précise ainsi le courrier daté du 25 octobre, faisant référence à la nouvelle réglementation européenne des grandes plateformes numériques, en vigueur depuis le 25 août 2023. Une phrase loin d'être anodine, compte tenu des récentes déclarations de Thierry Breton.
"L'effet direct des règlements de l'UE rend toute transposition nationale inutile [...], les États membres devraient s'abstenir d'adopter des législations nationales qui feraient double emploi avec ces règlements ou qui créeraient des dispositions plus strictes" avertissait-il le 2 août 2023, concernant la multiplication des lois franco-françaises visant à réguler les géants du numérique.
"La Commission [...] est donc prête à faire usage de ses pouvoirs de coercition, si nécessaire, pour assurer le respect desdits règlements" menaçait alors Thierry Breton, évoquant la possibilité pour l'UE de censurer les dispositions françaises.
Risque de surveillance
Dans le courrier cité par Contexte, la Commission européenne reproche notamment à la France d'imposer aux plateformes de vérifier elles-mêmes qu'un internaute condamné par un juge à un bannissement de réseau social ne tente pas de créer un nouveau compte. À ses yeux, la mesure fait peser un risque de surveillance généralisée, en réclamant à Twitter, Facebook et consorts d'épier les contenus mis en ligne pour identifier un individu condamné qui lui serait signalé par les autorités.
Dans son courrier, la Commission européenne demande à faire évoluer le texte, pour ne pas faire peser cet impératif de détection sur les épaules des réseaux sociaux, mais plutôt sur celles de "l'autorité administrative" (l'Arcom), qui serait alors chargée d'identifier les comptes créés illégalement, avant de demander leur blocage aux plateformes.
La Commission reproche par ailleurs à la France de légiférer sur la vérification de majorité pour accéder aux sites pornos, malgré l'existence de dispositions analogues au sein du DSA. Dans son article 35, le texte demande en effet aux grandes plateformes "l’adoption de mesures ciblées visant à protéger les droits de l’enfant, y compris la vérification de l’âge et des outils de contrôle parental".
"Le gouvernement s'est obstiné"
"Ce sont des observations circonstanciées. Cela veut dire qu'aux yeux de la Commission européenne, il s'agit d'une véritable violation du droit européen. Par ailleurs, ces remarques concernent la version initiale du texte, qui va désormais plus loin, après son passage par l'Assemblée nationale", remarque Alexandre Archambault, avocat spécialisé en droit du numérique, à Tech&Co.
Contacté par Tech&Co, le cabinet du ministre Jean-Noël Barrot assure que "la France se félicite de l'avis de la Commission en réponse à la notification qu'elle lui a adressée au mois de juillet, qui valide la conventionnalité des dispositions dans leur quasi intégralité, qui confirme la capacité d'agir de la France pour bloquer les sites exposant les enfants aux contenus pornographiques, et qui appelle quelques modifications marginales que le Parlement pourra apporter au texte en commission mixte paritaire".
Une satisfaction qui pourrait toutefois être très temporaire, aux yeux d'Alexandre Archambault. "Toutes ces problématiques ont été identifiées dès le printemps et signifiées au régulateur, notamment en Commission. Mais le gouvernement s'est obstiné. On croirait revivre le scénario de la loi Avia (largement censurée par le Conseil constitutionnel en juin 2020)", estime-t-il.