Confinement: déployés dans plusieurs villes, les drones de la police ont-ils le droit de nous filmer?

Un drone de la police vole au-dessus du marché des Capucins, à Marseille. - GERARD JULIEN / AFP
À Paris, Ajaccio, Nice, Nantes, Limoges ou encore Metz, ils viennent rappeler la population à l'ordre depuis les airs. Ces derniers jours, et pour accompagner les mesures de confinement, des drones ont été déployés dans une quinzaine de villes françaises. Leur rôle: diffuser par haut-parleur les directives du gouvernement, repérer, avec une caméra, les attroupements non autorisés et permettre à la police de mieux orienter ses patrouilles.
Ce qui semblait, il y a quelques semaines seulement, être propre à la Chine, et restait perçu comme l'apanage d'un régime autoritaire, est désormais monnaie courante en France. Ces drones ont-ils seulement le droit de survoler nos villes? Leur utilisation s'inscrit dans un flou législatif. Aucun régime spécifique ne vient aujourd'hui encadrer l'utilisation des drones par la police, si ce n'est deux arrêtés de fin 2015. L'un porte sur les normes de conception des drones et l'autre, sur leur utilisation.
Des questions sur la vie privée
"L'arrêté du 17 décembre 2015 fixe dans son article 10 des règles dérogatoires à l'interdiction de l'usage de drones dans l'espace public, pour une liste limitée d'aéronefs", rappelle Thierry Vallat, avocat au barreau de Paris. "La Police nationale ou la Gendarmerie peuvent donc opérer, sous couvert d'opérations de sécurité civile, une surveillance par drones sans restriction. D'autant plus dans le contexte d'un état d'urgence ou de crise sanitaire, comme celui instauré par la loi du 23 mars 2020."
"Il est néanmoins vrai qu'il n'existe, pour le moment, aucune disposition spécifique concernant l'utilisation de drones par les forces de l'ordre qui soit analogue à la règlementation mise en place pour les caméras piétons, pour laquelle la CNIL avait été interrogée en 2017", complète-t-il. Sanglées sur la poitrine, ces petites caméras avaient fait leur apparition sur l'uniforme de policiers municipaux pour prévenir des incidents, constater des infractions ou poursuivre les auteurs d'infractions par la collecte de preuve.
"Force est donc de constater que le cadre juridique de ces utilisations, en particulier concernant le respect de la vie privée des personnes dans les zones surveillées par drones, demeure flou et gagnerait à être précisé", tranche Thierry Vallat.
Cela vaut particulièrement pour les drones équipés de caméras. Alors même que les caméras de surveillance sont normalement associées à un panneau marquant leur présence et à un numéro à contacter en cas d'atteinte au droit à l'image, rien de tel n'est prévu pour les drones.
"On ne sait pas forcément que l’on est filmé. Sans oublier que les caméras qui équipent les drones sont très différentes: thermique, infrarouge, capable de zoomer de manière fine sur le visage des personnes, et potentiellement, de reconnaissance faciale", explique enfin Thierry Vallat.
Ce cadre juridique inconsistant mis de côté, les drones patrouillent bel et bien au-dessus des plus grandes artères des villes françaises, et habituent les passants à un nouveau mode de surveillance inédit.
Aux yeux de Charles Thibout, chercheur associé à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), il s'agit d'ores et déjà d'anticiper l'après-crise, et d'imaginer des dispositifs permettant de faire machine arrière.
"L'état d'urgence sanitaire actuel légitime ce déploiement de drones, qui semble disproportionné par rapport à l’enfreinte aux règles de confinement", souligne-t-il. "Il faudra veiller à ce que ce mode de surveillance ne dure pas, une fois l'épidémie étouffée. Or, il y a des précédents. Toutes les lois d’exception mises en place depuis les lois scélérates contre les anarchistes dans les années 1890 ont fini par entrer dans le droit commun. Avant d'être par la suite étendues à toutes les sphères de la société."