"Addiction" au smartphone: les "détox digitales" ont-elles un intérêt?

C'est un terme qui est désormais entré dans le langage courant, et qui est devenu un véritable business pour certains. La "digital détox", autrement dit une cure sans smartphone, est proposée à ceux qui se sentent incapables de décrocher de leur mobile, ou plus spécifiquement des réseaux sociaux.
Des usages problématiques du numérique qui existent, et qui peuvent parfois se révéler dramatiques, alimentées par la conception des réseaux sociaux, conçus pour maximiser le temps passé par l'utilisateur.
"Addiction": un mot galvaudé
Mais le terme "d'addiction", souvent utilisé par les vendeurs de ces cures de "détox digitale", est largement remis en question par les spécialistes.
"Aucun consensus scientifique n'existe concernant une 'addiction' au numérique. Ce n’est pas répertorié dans le classement international des maladies de l’OMS, par exemple, contrairement au trouble de l’utilisation des substances. On préfère évoquer un usage problématique d’internet" précise Séverine Erhel, maîtresse de conférences en psychologie cognitive à l'Université Rennes 2, auprès de Tech&Co.
Une utilisation galvaudée du terme "addiction" également pointée du doigt par Vanessa Lalo, psychologue spécialisée dans les jeux vidéo et les pratiques numériques, auprès de Tech&Co, début 2023.
Il est "toujours tendancieux de pathologiser des activités de loisirs" regrette de son côté Vincent Bernard, médiateur numérique, auprès de Tech&Co.
Car selon les différentes publications scientifiques, l'existence d'une véritable problématique liée à l'utilisation des écrans reste limitée. Elle concernerait entre 3,8 et 5,4% des Français, d'après une étude publiée en janvier 2023, selon que l'on prenne en compte l'utilisation spécifique des réseaux sociaux ou d'internet en général.
Un symptôme plutôt qu'une cause
Surtout, l'ensemble des spécialistes rappellent qu'une utilisation problématique de son smartphone est à voir comme un symptôme et non une cause des problèmes.
"On fait croire aux gens que le problème, c'est le téléphone, le numérique, en surfant sur des discours diabolisateurs qui cassent le thermomètre au lieu de soigner la fièvre: un rapport problématique au travail, [...] un mal-être dans sa vie personnelle et/ou sociale qui s'exprime par un repli dans l'univers numérique" explique Anne Cordier, professeure en Sciences de l’information et de la communication à l'Université Lorraine. Mais les spécialistes mettent également en garde contre le terme - également galvaudé - de "détox".
"On ne va désintoxiquer personne car personne n'est intoxiqué par son smartphone" résume ainsi Séverine Erhel.
Là encore, la spécialiste conseille de s'intéresser aux causes sous-jacentes qui pourraient conduire à une utilisation déraisonnable de son smartphone, plutôt qu'à l'appareil en lui-même. Elle questionne par ailleurs la notion de "sevrage", qui passe par le fait de forcer le client à se passer de son smartphone pendant quelques jours.
"Le fait d’interdire le smartphone à quelqu’un d'un coup peut aussi être délétère, pour certaines personnes qui sont en difficulté avec le numérique. Parfois, le numérique est en fait une béquille. Pour ces personnes en usages problématiques, il faut une prise en charge psychologique et à long terme pour revenir à un usage raisonné" estime-t-elle.
D'autres mesures plus réalistes
Un constat partagé par Vincent Bernard, qui considère de telles méthodes comme appartenant au passé, y compris dans le cadre de véritables addictions, par exemple à des composants chimiques contenus dans des drogues.
De son côté, Anne Cordier pointe le caractère irréaliste de ces méthodes, évoquant d'autres moyens de retrouver un usage raisonnable du numérique. Par exemple en allouant des plages horaires dédiées à la consultation de mails, mais aussi de désactiver les notifications des réseaux sociaux.
"Mais on n'a pas besoin de payer ça. Il faut juste se convaincre de réinvestir son temps différemment", estime Séverine Erhel concernant les cures de "digital détox", que Vincent Bernard qualifie "d'attrape couillon". Tous deux mentionnent par ailleurs le risque dans certains cas de mise en avant de pseudosciences dans de telles situations.