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Pourquoi l'IA ne sera probablement plus gratuite dans les années à venir

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L'IA fait désormais partie de notre quotidien et, pour la plupart, on en bénéficie gratuitement. Mais ce modèle économique pourrait être chamboulé dans les années à venir.

Si toutes les IA devenaient payantes, est-ce que vous seriez prêt à payer pour y avoir accès? "Non parce que pour l'instant, ne pas utiliser l'IA n'est pas excluant", "non, je ne l'utilise pas au quotidien et ça répond n'importe quoi", ou encore "seulement si j'en ai besoin au travail et que c'est mon entreprise qui me paie l'abonnement". Ce sont le genre de réponses que l'on peut entendre lorsqu'on pose la question.

Aujourd'hui, l'IA n'a pas encore su se rendre indispensable aux yeux des particuliers, pas au point de les convaincre de payer un abonnement pour l'utiliser. Mais le développement de l'intelligence artificielle est un gouffre financier que les entreprises qui les mettent sur le marché cherchent à combler. Résultat, les IA pourraient très bien devenir un jour obligatoirement payantes.

L'IA encore au stade de Freemium

Il faut dire que la plupart des IA qu'on connaît comme ChatGPT, Grok ou Gemini, nous ont habitué à un accès gratuit à leurs services de base. Seuls quelques abonnements payants sont proposés pour ceux qui en font un usage régulier et veulent bénéficier de fonctionnalités augmentées (requêtes illimitées, modèles plus performants…).

Ce modèle économique, connu sous le nom de Freemium, est assez répandu dans l'écosystème numérique. Il consiste pour une plateforme à appâter la clientèle avec des services gratuits, souvent en illimité. Une fois qu'un utilisateur est accoutumé (voire fidélisé) au service gratuit, la plateforme va l'inciter à passer au niveau supérieur et à profiter d'une expérience améliorée. Mais pour cela, l'utilisateur devra sortir la carte bleue.

Cette stratégie de monétisation s'applique aussi bien à des chatbots comme ChatGPT, qu'à des plateformes de e-commerce comme Amazon (avec Amazon Prime) ou encore des jeux vidéo, où les exemples sont nombreux (par exemple Candy Crush, League of Legend, Fortnite ou Rocket League).

La rentabilité de ces modèles passe principalement par ce qu'on appelle des "whales" (traduit par "baleines" en français). Il s'agit d'une minorité d'utilisateurs qui vont réaliser énormément de transactions et rapporter beaucoup d'argent à la plateforme, ce qui va venir compenser l'usage gratuit des autres personnes (comme si un utilisateur payait pour 10 ).

Dans le cas de ChatGPT, seuls trois millions d'utilisateurs sur ses 500 millions mensuels paient un abonnement pour profiter de ChatGPT Plus (à 23 euros par mois) ou Pro (à 229 euros par mois). Cela a rapporté à l'entreprise près de 10 milliards de dollars en 2024 (soit un revenu moyen de 3.330 euros par abonné payant).

Une technologie onéreuse

L'IA sera indéniablement un des secteurs les plus porteurs de ces prochaines années. Mais la technologie coûte cher, très cher à développer. En 2023, Dylan Patel, analyste en chef chez SemiAnalysis, estimait auprès de The Information que le coût quotidien de ChatGPT s'élevait à 700.000 dollars par jour.

Si en 2025, le coût quotidien pour faire fonctionner ChatGPT n'est pas connu, il a très probablement atteint de nouveaux sommets. Plusieurs paramètres peuvent expliquer une hausse considérable du prix, comme le nombre d'utilisateurs qui augmente, des modèles qui réclament toujours plus de données et d'énergie, ou encore le développement de tâches toujours plus diversifiées.

Cela entraîne OpenAI dans une boucle où, chaque année, l'entreprise perd des milliards de dollars. Rien qu'en 2024, la firme enregistrait un déficit de 5 milliards de dollars, malgré les 10 milliards gagnés grâce à ses abonnements. Et la fièvre dépensière de Sam Altman ne fait que s'intensifier puisque d'ici 2030, OpenAI prévoit de dépenser près de 200 milliards de dollars.

Une rentabilité à atteindre

Pour compenser ces dépenses et enfin en finir avec ses pertes, OpenAI a fixé des objectifs financiers hauts. L'entreprise américaine veut réussir à générer 125 milliards de dollars sur la seule année 2029, soit plus de 12 fois plus que ce qu'elle génère avec ses abonnements actuellement. Le but serait de devenir rentable cette même année, soit gagner plus que ce qu'elle dépense.

Pour atteindre de telles sommes, il n'y a pas de miracle. Il va falloir vendre des abonnements ou revoir complètement le modèle économique de l'entreprise (en incluant de la publicité par exemple). C'est pourquoi il n'est pas impossible de voir un jour ChatGPT uniquement disponible en version payante.

Et pour ce qui est des alternatives comme Gemini, Grok, Claude, Le Chat, Perplexity? Afin de ne pas laisser le monopole à ChatGPT, les entreprises concurrentes pourraient autant s'endetter qu'OpenAI pour développer leur propre IA, et par la suite suivre le même schéma financier.

L'IA payante ne convainc pas encore

Mais les entreprises qui innovent dans le secteur de l'IA savent-elles seulement vendre leurs services? À en croire une étude publiée fin juin par Menlo Ventures, pas tellement. Sur l'ensemble des chatbots, seuls 3% des usagers ont opté pour un abonnement payant. Ces 3% représentent tout de même un gain de 12 milliards de dollars par an. Mais pour 100% d'utilisateurs payants, on atteindrait les 432 milliards.

Quelles sont les principales raisons d'un tel désintérêt? D'abord le prix d'un abonnement, généralement très onéreux. Comptez entre 20 et 350 euros pour un abonnement mensuel, il s'agit de le rentabiliser derrière. Ces forfaits payants permettent généralement d'avoir accès à modèles plus puissants, à des outils de génération en illimité, voire à des fonctionnalités exclusives (on pense aux compagnons de Grok).

Les abonnements les plus chers conviendront plus aux professionnels. Néanmoins, un particulier qui utilise de temps en temps un chatbot n'en verra pas l'utilité.

Un autre argument qui revient souvent reste la fiabilité de l'IA. Cette dernière est encore aujourd'hui sujette à des hallucinations récurrentes. C'est pourquoi des utilisateurs éprouvent encore une certaine méfiance à l'égard de la technologie.

La gratuité, encore pour longtemps?

Ce désintérêt se ressent jusque dans les appareils électroniques, dont l'argument de vente principal est justement l'intégration d'intelligence artificielle. Les ordinateurs portables Copilot+ en sont l'exemple parfait. Comme le rapporte le média The Register, la gamme de PC fabriquée par Microsoft peine à s'écouler. Les Copilot+ sont vendus en moyenne 57% plus chers que la moyenne, un prix plus haut qui serait justifiié par la présence d'IA.

"Les fabricants intègrent de plus en plus souvent des fonctionnalités d'IA dans leurs appareils, faisant des PC équipés d'IA une nécessité plutôt qu'un choix pour de nombreux acheteurs. Mais cela ne signifie pas pour autant que les consommateurs recherchent activement ces fonctionnalités", expliquait à The Register Marie-Christine Pygott, analyste chez Context.

À défaut de trouver une clientèle prête à payer, les IA devraient encore rester gratuites pendant quelques années. En tout cas, les entreprises qui les développent y ont tout intérêt. Une première raison est de laisser le temps à leur outil de se démocratiser, de fidéliser, voire de se rendre indispensable dans le quotidien de clients potentiels.

Mais surtout cela permet d'engranger une quantité astronomique de données d'entraînement pour les algorithmes. Celles-ci sont essentielles au développement et à l'amélioration des modèles.

Théotim Raguet