IA: pourquoi la France soigne sa relation avec l'Inde

Le président français Emmanuel Macron (g) et le Premier ministre indien Narendra Modi à Jaipur, en Inde, le 25 janvier 2024 - Ludovic MARIN © 2019 AFP
Narendra Modi est en territoire ami à Paris. Le Premier ministre indien est arrivé dans la capitale ce lundi pour une visite de trois jours, à l'occasion du Sommet pour l'action sur l'intelligence artificielle. Un sommet qu'il co-préside, alors que la France et l'Inde sont les grands organisateurs de ce rendez-vous mondial.
Modi se rendra ensuite, avec Emmanuel Macron, à Cassis puis Marseille. Le chef de l'État français avait de son côté été convié à la fête de la Constitution indienne, en 2024; en 2017, dès son arrivée à l'Élysée, Narendra Modi avait été l'un des premiers dirigeants internationaux à venir vers lui. En 2023, il lui avait rendu la pareille avec une invitation en grande pompe en France pour le défilé du 14-juillet.
La relation avec l'Inde s'est imposée comme essentielle d'un point de vue diplomatique. Le président français avait théorisé en septembre 2022, à la tribune des Nations unies, la nécessité de "bâtir un nouveau contrat entre le Nord et le Sud" pour éviter "la fracture du monde".
"Le président a beaucoup investi dans la relation avec New Delhi", reconnaît un de ses conseillers auprès de l'AFP, pour "tenir compte de la montée en puissance de l'Inde", devenue le pays le plus peuplé au monde, en termes notamment "technologiques et scientifiques".
30 ans de coopération
New Delhi jouit depuis 1998, précisément, d'un partenariat stratégique avec Paris. À l'époque, Jacques Chirac va à rebours de la plupart des chancelleries pour nouer des liens avec le pays, pourtant empêtré dans des essais nucléaires jugés contraires au droit international. Paris ne sanctionne pas et prépare même une coopération sur le nucléaire civil.
Cette collaboration résonne encore à l'heure actuelle, puisque Inde et France planchent désormais ensemble sur des projets concernant les petits réacteurs modulaires (SMR), et des projets dans les secteurs portuaire et énergétique, impliquant notamment l'armateur français CMA-CGM (propriétaire de BFMTV, BFM Business et RMC). Un corridor commercial entre l'Europe et l'Inde, passant par Marseille et le Moyen-Orient, était ainsi à l'étude.
L'Inde devrait aussi acter rapidement de nouveaux achats dans le domaine militaire: 26 Rafale Marines de Dassault et trois sous-marins supplémentaires de classe Scorpène à Naval Group. D'un point de vue plus diplomatique, la puissance indienne se définit comme "non-alignée" - autrement dit, elle ne se rallie ni aux États-Unis, ni à la Chine, et peut faire figure d'alternative pour la France et l'Europe. Sans toutefois que le pays ne soit pleinement en phase avec les enjeux européens: la Russie continue ainsi à jouer un rôle important auprès de l'Inde et demeure l'un de ses principaux partenaires.
Une puissance technologique en devenir
En associant ce grand pays émergent, l'Élysée dit ainsi vouloir éviter, dans la course à l'IA, une compétition "uniquement entre les États-Unis et la Chine". Avec 1,4 milliard d'habitants, l'Inde est riche de main d'œuvre et d'un secteur numérique développé, structuré autour de grandes entreprises nationales comme Tata Consultancy ou Infosys.
Dans le domaine de l'intelligence artificielle, plus de 200 startups sont aujourd'hui actives et les formations dans les universités indiennes produisent chaque année des ingénieurs que s'arrachent les géants du numérique.
Le pays met en outre en valeur une politique d'autonomie stratégique dans le domaine. New Delhi, depuis le lancement de sa politique publique sur le sujet en 2014, a rappelé sa volonté de fixer des garde-fous dans le domaine sur le plan éthique, et de fabriquer ses propres modèles - liant éventuellement des partenariats avec certains alliés étrangers.
Le pays accuse un retard sur la Chine et les États-Unis, mais pourra compter là encore sur son équilibre géopolitique pour tirer parti de ses deux rivaux à l'avenir: en 2022, Apple a par exemple délocalisé une partie de sa production d'iPhones en Inde, pour limiter son exposition à la Chine. Un non-alignement qui devrait continuer à séduire l'Europe et la France.