Rival, partenaire, copieur? Comment les géants américains perçoivent l'arrivée fracassante de Deepseek

L'application Deepseek sur un smartphone. - Mladen ANTONOV / AFP
Tout ce que l’intelligence artificielle comptait de têtes pensantes s'était donné rendez-vous en début de semaine à Paris. Mais de Saclay au Grand Palais en passant par Station F, un nom a résonné durant Sommet pour l’action de l’IA. Et ce n’est pas celui d’Elon Musk, prompt à se prendre le bec à distance avec Sam Altman et OpenAI à coup de "je te rachète, moi non plus".
Bien plus que le patron de X et Tesla, c’est Deepseek, le modèle d’IA développé en Chine, qui a fait parler de lui. Et bien souvent, sans que l’on ait besoin d’interroger les principaux invités du Sommet, prêts à donner leur avis sur le nouveau venu.
Car les premières prouesses et promesses de Deepseek n’ont laissé personne indifférent. Mais chacun n’a pas la même façon d’approcher cet invité inattendu au sein de la communauté de l’IA. Alors que certains y voient une innovation à surveiller de près, d’autres perçoivent Deepseek comme un défi technologique et géopolitique.
"Pas d'avancée scientifique"
Il faut dire que Deepseek a fait grand bruit en annonçant, par exemple, fonctionner, certes grâce à des puces Nvidia, mais de seconde catégorie, en optimisant leur puissance pour les rendre moins énergivores. Chez Google, on reconnaît à l’entreprise un talent d’ingénierie, même si on clame que les modèles de Gemini sont plus efficaces en termes de performances que R1.
"C’est une réussite impressionnante d’ingénierie, probablement le meilleur que j’ai vu sortir de Chine", s’exclame Demis Hassabis, directeur de Google Deepmind et prix Nobel. "Mais je ne vois pas d’avancée scientifique significative. Car Deepseek utilise des techniques connues, dont certaines inventées par Deepmind." Il pense notamment à AlphaZero et le machine learning renforcé.

Pour Google, Deepseek ne représente pas "une percée technologique révolutionnaire" et a surtout "tiré le maximum de son matériel". Pas de quoi positionner déjà le modèle chinois au-dessus des modèles occidentaux comme Deepmind ou OpenAI.
Une pâle copie de ChatGPT?
Mais du côté d’OpenAI, si on reconnaît un avantage certain à la Chine "en termes d’énorme quantité de données et d’énergie", on se montre plutôt mitigé sur l’entrée en lice de ce nouveau challenger. "L’arrivée de Deepseek montre que la compétition entre la Chine et les États-Unis est plus réelle que jamais", avance Chris Lehane, vice-président d’OpenAI en charge des affaires globales, évoquant des enjeux énormes.
Chez le papa de ChatGPT, dans les couloirs, on se montre moins enthousiaste que beaucoup et l’on soupçonne Deepseek d’être surtout une copie de son propre modèle. De la distillation, une copie du travail réalisée par OpenAI, afin d’entraîner des coûts moins élevés, chez OpenAI, on ne cache pas une certaine circonspection face au travail chinois et l’on se dit actuellement en train de chercher "les points de copie" qui ont permis d’élaborer très rapidement le modèle rival.

Car sans le dire vraiment, on sous-entend à demi-mot que le lancement de Deepseek pourrait être le fruit d’une manoeuvre stratégique du parti communiste chinois. "Les infrastructures mondiales de l’IA seront dominées à l’avenir soit par des modèles démocratiques, soit par des modèles autocratiques," pointe Chris Lehane. "Il est essentiel de gagner sur le terrain de l’IA démocratique."
Si les deux ténors jouent de méfiance, Perplexity AI, l’étonnant moteur de recherche à l’IA, a noué un partenariat avec Deepseek. Au même titre que les deux premiers, que Llama 3, le modèle de de Meta ou encore Claude 3 d’Anthropic, Deepseek R1 est intégré à l’option Pro Search de Perplexity pour son moteur de recherche et pour répondre aux questions.
Perplexity joue la collaboration transparente
Chez Perplexity, on jouerait même la carte de la transparence et de l’approche pragmatique pour expliquer l’ajout. "Deepseek est le premier modèle qui expose en détail chaque étape de son raisonnement", explique à Tech&Co Aravind Srinivas, le fondateur de Perplexity AI qui y voit même un avantage pour les utilisateurs. "C’est la seule IA qui leur permet de voir précisément comment il arrive à une conclusion. À la différence d’OpenAI ou Gemini, il expose chaque étape et les utilisateurs adorent ça."

L’entreprise explique cependant que Deepseek n’envoie aucune requête API vers l’app Perplexity ou sur la version web pour les transférer vers la Chine. "Tout reste hébergé dans des centres de données aux États-Unis ou en Europe", assure Aravind Srinivas. Selon lui, le fait de faire appel à plusieurs IA permet de ne pas diffuser de propagande ou de censure. De l’importance ainsi de montrer comment l’IA est parvenue à une réponse.
S’ils ont tous le nom de Deepseek sur les lèvres, c’est dire le poids qu’a rapidement pris l’IA chinoise, pourtant tout aussi rapidement censuré dans le monde occidental. Concurrent sérieux dans un contexte de rivalité sino-américaine, elle fait aussi peur que les intéressés minimisent son apport à la cause, tantôt taxée de "manque d’innovations scientifiques", de "copie de technologies existantes" ou bien moins performantes.
Reste que, pour tous, la compétition se jouera sur l’accès aux ressources informatiques. "Nous avons encore l’avantage sur les puces, mais l’écart se réduit rapidement", clame Chris Lehane. Le suivi sur le long terme, la force de l’infrastructure de soutien, la régulation et les gouvernances imposées détermineront de la force de frappe de Deepseek. De quoi pousser les entreprises occidentales à redoubler d’efforts et conserver leur hégémonie dans la bataille de l’IA.