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Instagram a 15 ans: comment le réseau social est devenu une appli polymorphe, contestée et en constante évolution

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Créé le 6 octobre 2010, le réseau social Instagram est aujourd'hui devenu incontournable, mais est aussi l'objet de nombreuses critiques depuis son rachat par Meta.

Voilà quinze ans qu'Instagram fait la pluie et le beau temps sur les réseaux sociaux. Avec près de deux milliards d'utilisateurs à travers le monde, lors du dernier décompte, il est devenu un vecteur de tendances et d'influences, même s'il est depuis deux ans largement concurrencé par Tiktok.

En France, cela représente tout de même plus de 26 millions d'utilisateurs.

Une application pour démocratiser la photo

Imaginé en 2010 par deux entrepreneurs, Kevin Systrom et Mike Krieger, le projet est d'abord de proposer une application permettant de partager ses photos. Bien aidé par le succès de l'iPhone, qui propose même une intégration au sein d'iOS, le système d'exploitation mobile d'Apple, Instagram va séduire bien au-delà de la sphère des photographes et convaincre une jeune génération ayant le souhait de partager leur vie, leurs vacances, et plus encore.

L'une des premières interfaces d'Instagram
L'une des premières interfaces d'Instagram © -

Le rachat du réseau social en 2010 par Facebook (devenu depuis Meta) va néanmoins le propulser considérablement. Le patron de Meta, Mark Zuckerberg, estime qu'Instagram n'aurait pas connu le succès qu'on lui connaît aujourd'hui sans la puissance de frappe de Facebook.

En s'offrant la plateforme qui a convaincu les jeunes, Meta dépense près d'un milliard de dollars. Sans qu'il soit facile d'établir sa valorisation exacte aujourd'hui, elle en vaut beaucoup plus aujourd'hui. En 2024, Instagram a généré un chiffre d'affaires estimé à 67 milliards de dollars, soit presque 41% des revenus totaux de Meta...

L'emprise de Meta sur Instagram

A l'époque, le rachat va faire couler beaucoup d'encre. De l'aveu même de Mark Zuckerberg, il s'agissait de "retirer du marché un concurrent potentiel", tout en profitant d'une nouvelle base d'utilisateurs évaluée à 300 millions à cette époque.

Mais Meta tente quelques modifications aux conditions d'utilisation, autorisant l'exploitation commerciale des photos des utilisateurs. Un changement qui ne passe pas, créant un effet de boycott, et qui pousse l'entreprise à revenir en arrière.

Cette période fut délicate - on estime à quatre millions le nombre d'utilisateurs en moins - mais aujourd'hui oubliée. Car les autres changements et l'intégration toujours plus importante de l'univers applicatif de Meta, notamment le partage des Stories sur Facebook ou la présence de Threads, mais aussi l'accès à l'ensemble des données des utilisateurs et un compte "commun", passent comme une lettre à la poste.

Il faut dire qu'entre temps, Instagram est devenu impossible à éviter pour qui veut partager sa vie sur internet, et encore plus depuis que les influenceurs y ont élu domicile.

Instagram, TikTok, Facebook : les réseaux sociaux nous gâchent-ils la vie ? - 28/02
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Que ce soit des stars d'Hollywood, des personnalités de la téléréalité, mais aussi tout un chacun gagnant petit à petit du succès, Instagram est devenu, après Youtube, le meilleur moyen de "percer" dans la sphère médiatique.

Les dérives y sont nombreuses, notamment avec des publicités cachées - et qui font l'objet de condamnations en France, comme ailleurs - mais la plateforme est un point d'entrée régi par un puissant algorithme.

Un algorithme qui fait débat

Car, depuis 2016, le flux n'est plus présenté de manière chronologique et la pub est arrivée. De fait, les utilisateurs ne voient d'abord que ce qu'ils apprécient le plus - ou ce que veut pousser Instagram. Les stories, lancées dans la foulée, optent pour le même système.

L'algorithme, justement, pose depuis de nombreuses années de sérieuses questions. Instagram est loin d'être l'enfant modèle des réseaux sociaux que ses deux fondateurs voulaient proposer.

Au fil des années, on se rend compte de ses défauts, qui peuvent parfois pousser des jeunes dans un mal être impossible à résoudre. De l'application censée représenter la vie réelle de l'époque, il ne reste en effet pas grand chose. Instagram n'est que l'un des ambassadeurs du mal de notre époque, les réseaux sociaux, mais s'avère être néanmoins le plus marquant car il y ajoute des images (ou des vidéos).

La culture du "fake", qui consiste à s'inventer une vie de rêve pour agréger toujours plus d'engagement, résonne particulièrement sur la plateforme, encore plus à l'ère des influenceurs et de l'IA. Et c'est sans compter sur la partie très immergée de l'iceberg avec des affaires de "grooming" et de pédopornographie rendues possibles par une vision de la vie privée et du partage contestée - et contestable.

Les dérapages continuent dans les années 2020, entre les propos complotistes largement relayés ou la diffusion, via un bug de l'algorithme, de vidéos et photos très violentes, Meta ne semble plus vraiment maîtriser le monstre qu'il a créé.

Malgré les amendes, comme les 405 millions d'euros en 2022, les 180 millions d'euros en 2023, la machine continue de tourner. A cela s'ajoute la vision très personnelle de son patron, Mark Zuckerberg, sur la modération. Le milliardaire, qui a désormais le regard tourné vers l'extrême droite américaine, abandonne le peu de règles qui régissaient Instagram, et accorde une place importante aux contenus politiquement sensibles et aux modifications par l'IA.

Instagram et ses nombreux échecs

Mais il n'y a pas que la modération ou l'algorithme qui bougent dans la galaxie Instagram. En quinze ans, l'application a certes été copiée, mais elle a surtout reçu des applications compagnons de la part de Meta, et un grand nombre qui plus est.

Confronté à une baisse de sa popularité chez les jeunes, Instagram va lancer tous azimut des concurrents d'autres applications connaissant une croissance importante. Boomerang en 2015 cherche à créer des vidéos courtes avec une dizaine de photos, mais elle est arrêtée l'année suivante. La même année, Layout veut mettre en avant les collages de ses utilisateurs avec une app d'édition - ses fonctions seront intégrées à l'app principal, faute de succès, dès 2016.

Hyperlapse, de son côté, vient mettre en avant les timelapses (ces vidéos montrant un lieu capturé pendant plusieurs heures, mais en accéléré). Lancée en juin 2018, IGTV va de son côté offrir le partage de vidéos plus longues que celles pouvant être rendues disponibles sur Instagram. Mais là encore, sa durée de vie ne sera que de deux ans.

Finalement, depuis peu, Instagram a cessé de proposer des apps tiers, en intégrant ses nouveautés directement sur l'application principale. Un pari beaucoup moins risqué, qui permet en sus de captiver toujours plus l'attention de l'utilisateur chère aux géants de la tech.

La réactivité d'Instagram aux tendances du marché des applis de réseaux sociaux est alors décuplée. Les Stories viennent apporter une réponse à l'insolent succès de Tiktok, l'IA permet toutes les folies, les filtres générés par les utilisateurs aussi, et les "lives" font leur entrée. Il y a une réponse d'Insta pour tout, quitte à devenir une véritable usine à gaz. Une appli phare qui peut rapporter beaucoup d'argent à une poignée de ses utilisateurs, mais surtout à Meta.

Sylvain Trinel