La fin du disque: pourquoi l’industrie du jeu vidéo vous pousse vers les formats dématérialisés

Il y a encore quelques années, lorsqu’ils achetaient un jeu vidéo, les joueurs trépignaient d’impatience sur le chemin entre le magasin et leur domicile. Une fois chez eux, ils n’avaient plus qu’à insérer le fameux CD dans leur console ou leur PC pour en profiter. Ce temps est révolu. Désormais, il faudra patienter et encore patienter.
"La première chose que l’on vous demande désormais, c’est de télécharger une partie du jeu qui n’est pas sur le blu-ray", constate Julien Pillot, enseignant chercheur à l’Inseec Grande Ecole.
Et cela peut durer: parfois des heures avant de commencer à jouer.
Avec le fameux "patch day one", les développeurs d’un jeu corrigent dès le jour de la sortie les derniers problèmes de conception. Côté studio, cela permet d’éviter de proposer aux joueurs un titre truffé de bugs. Mais côté joueur, c’est un moment d’attente supplémentaire avant de profiter de son achat.
Remettre en cause le format physique
Face à ce nouvel état de fait, l'intérêt des versions physiques des jeux vidéo peut se poser. Quitte à subir une durée de téléchargement, autant télécharger l’intégralité d’un jeu plutôt que d'acheter un disque à moitié plein. La sortie du dernier volet de la série de jeux de tir Call of Duty exacerbe ce constat. L’épisode 2022 de la licence, Modern Warfare 2, dispose d’un disque physique quasi-vide, imposant un long téléchargement aux joueurs.
Remettre en cause les formats physiques, c’est d’ailleurs ce que les éditeurs et constructeurs poussent à faire depuis quelques années. Pour preuve, la dernière génération de consoles propose chacune une version dépourvue de lecteur de disque. Aussi bien du côté de Sony, qui fabrique la PlayStation 5, que chez Microsoft et sa Xbox Series.
"La raison, c’est le gain de marge", tranche Charles-Louis Planade, le directeur d’International Operations - Equity Research.
Avec ces magasins numériques, un éditeur de jeux peut se passer des coûts de fabrication du disque, mais aussi des coûts logistiques. "Cela se fait au bénéfice des développeurs et des éditeurs", précise Charles-Louis Planade. "Depuis le début de la vague de numérisation des contenus, le prix de vente n’a pas baissé alors que les coûts baissent."
L’expert insiste aussi sur la gestion des invendus. En réduisant la fabrication, le nombre d’exemplaires n'ayant pas trouvé preneurs diminue mécaniquement. Cette problématique est d’ailleurs l’un des points noirs des éditeurs depuis le début du secteur vidéoludique. En 2014, des milliers d’exemplaires du jeu E.T. l’extraterrestre, souvent considéré comme l’un des pires jeux vidéo, ont été retrouvés, raconte Le Figaro. Ils avaient été enterrés en 1983 par la société Atari.
Des marges inférieures dans le numérique
En plus d’éviter l’achat d’un blu-ray et d’un packaging, l’impression d’une jaquette et d’un manuel (bien que cet élément tend à disparaître), le recours aux magasins numériques représente aussi une nouvelle source de revenus pour les fabricants Sony et Microsoft.
"C’est intéressant pour eux car ils margent les frais de distribution, mais c’est également intéressant pour les éditeurs car ces marges sont inférieures dans le circuit dématérialisé que dans le physique", explique Julien Pillot.
Selon la dernière étude du Syndicat des éditeurs de logiciels de loisir (Sell), le format dématérialisé n’est pas encore majoritaire en France. L’achat de jeux "en boîte" constitue toujours une grande partie des ventes (68%). Pour autant, d’un point de vue économique, ce sont bien les ventes numériques qui font les belles heures de l’industrie.
"La numérisation du secteur explique la croissance des éditeurs, assure Charles-Louis Planade. Sur les résultats des dix dernières années, la ligne qui diminue le plus, c’est le coût de production."
D’ailleurs, même si un joueur persiste à utiliser un disque, le numérique ajoute des moyens de maximiser les gains des développeurs. "Cela offre des possibilités de monétisation supplémentaires, souligne Julien Pillot. Le modèle 'free-to-play' en est l’expression la plus absolue". Ces jeux à accès gratuit, tels que Fortnite ou Warzone, proposent de nombreuses microtransactions afin d’ajouter du contenu supplémentaire ou des éléments de personnalisation.
Mais aujourd’hui, la dématérialisation prend un nouveau virage avec l’arrivée des services de cloud gaming. Cette technologie promet d’accéder à un titre uniquement via internet. Ainsi, ce n’est plus la console de jeu ou l’ordinateur qui fait fonctionner le jeu, mais une machine déportée, telle qu’un datacenter. Un simple téléphone peut donc suffire pour jouer. Une révolution déjà en marche, qui s’affiche comme le futur de l’industrie.