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"GTA 6" a-t-il donné une leçon de communication à l’industrie du jeu vidéo?

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En annonçant coup sur coup son report, une date de sortie fixe, une volonté de faire un jeu premium et de nouvelles images, Rockstar Games a réussi à éviter la colère de ses joueurs tout en se maintenant au-dessus de la mêlée. Une communication menée de main de maître

S’il y a un studio qui peut tout se permettre, communique quand il veut, comme il veut, c’est bien Rockstar Games. Un nom que le développeur américain porte à merveille. Son nouveau jeu est attendu depuis 12 ans, bientôt 13. Et alors? Les fans patienteront encore, et sans moufeter (enfin, pas trop). Et pour même calmer leur colère, donnez-leur un peu d’explications et beaucoup d’images pour que cela soit bien mieux digéré.

C’est la leçon donnée par Rockstar la semaine passée. Alors que l’on attendait des nouvelles et une date de sortie imminente pour Grand Theft Auto 6, le studio a coup sur coup soufflé le froid et le très chaud. Tout d’abord en annonçant un report du jeu au 26 mai 2026. Difficile de dire de combien de temps le jeu est retardé, il n’avait tout simplement pas de date de sortie. Mais beaucoup l’attendaient sur octobre-novembre. Un report tombé en communiqué avec la bonne idée d’y mettre une date ferme et (peut-être) définitive pour contrebalancer la déception des fans.

Pour le bien des développeurs et des joueurs

Parmi les explications données, il y a la volonté d’"offrir la qualité que vous (les joueurs) attendez et méritez". Car Rockstar Games explique avoir pris "une véritable leçon d’humilité" face à l’intérêt et l’enthousiasme suscités. "À chaque sortie, notre objectif a toujours été de dépasser vos attentes", écrit-il dans son communiqué pour adoucir la colère de ceux-ci.

Mais surtout, le studio explique vouloir faire un jeu premium pour ses fans, sans bugs - la jurisprudence de la sortie ratée du très attendu Cyberpunk 2077 est encore dans tous les esprits -, sans avoir recours non plus à ce fameux "crunch" (faire cravacher ses équipes dans la dernière ligne droite pour finir le jeu dans les temps) qui épuise physiquement et psychologiquement ses développeurs, et cause du tort à l’entreprise. Un mal qui a fait trembler bon nombre de studios ces dernières années. Rockstar n’en sort qu’encore plus grandi auprès des joueurs et de ses équipes.

Et pour améliorer encore plus son aura et son statut à part, le créateur de GTA s’est même offert le luxe de dégoupiller une nouvelle grenade une semaine plus tard sous la forme d’un second trailer, près de 18 mois après le tout premier. Rockstar était critiqué pour faire silence radio depuis décembre 2023, n’avoir pas donné une seule image du jeu ni un visuel depuis et rester muet. Il se paie le luxe de faire taire les critiques avec un trailer de 2:45 aux antipodes du premier - moins sulfureux, plus axé sur les héros, les décors et l’histoire - et une avalanche d’images du jeu. 

GTA 6
GTA 6 © Rockstar Games

Une nouvelle vidéo qui distille une avalanche (ou plutôt un tsunami, vu le cadre) de détails et d’informations sur ce qui attend les joueurs. De quoi s’assurer surtout une nouvelle vague de communication autour de GTA 6 durant plusieurs jours à coup de multiples streamers, youtubeurs, journalistes et autres experts décortiquant le moindre élément, le moindre pixel et le moindre plan du trailer. À en oublier que le jeu ne sortira pas avant un an…

Absent de 2025, mais toujours le maître des horloges

Quoi qu’il fasse ou dise, Rockstar Games bénéficie de la clémence générale qu’on prête toujours aux grands du secteur. Ubisoft avait repoussé Assassin's Creed Shadows avec la même volonté. La vox populi n’a pas eu le même bienveillance pour le jeu ni son éditeur - en proie aussi à d’autres soucis là où Rockstar plane au-dessus de la mêlée, comme intouchable et auréolé de ses succès. Même la bourse semble admirative de cette communication: l’arrivée du trailer a effacé des esprits le retard et l’action de Take-Two interactive, la maison mère, avait vu son cours bondir de près de 3%, signe que rien ne refroidit les attentes et la confiance du marché qui voit déjà le succès du jeu. Tout ça dans une communication rondement menée alors que Take Two doit faire le bilan de son exercice fiscal achevé et évoquer le prochain qui se fera sans GTA 6, le 15 mai lors de son appel aux actionnaires.

Des fans, des développeurs et une bourse euphoriques, mais une industrie qui rit sans doute moins. Avec son décalage à 2026, c’est tout le planning de la concurrence qui est à revoir. Certains avaient anticipé le coup comme Death Stranding 2 : On the beach qui sortira le 26 juin. Hideo Kojima, son créateur, n’a pas caché que la sortie avait été anticipée pour éviter l’ogre de l’automne. D’autres n’ont pas eu cette vista et vont devoir repenser leurs stratégies, notamment du côté de Xbox qui a de nombreux titres sous le coude à dégainer, de The Outer Worlds 2 à Fable. Certains étaient prévus pour début 2026 (non officiellement) et vont peut-être arriver plus tôt. La concurrence en tout cas s’organise pour profiter de la lumière du second semestre désormais débarrassé du principal arbre (baobab même).

La fin d’année s’annonce ainsi riche et pleine de rebonds. Mafia: The Old Country (qui appartient à 2K de la même entité) a dévoilé un nouveau trailer une date de sortie (8 août), tout comme Borderlands 4 du même éditeur qui a avancé sa sortie au 12 septembre, tout autant pour profiter de la fin d’été vide que pour éviter Ghost of Yotei que Sony a placé au 2 octobre, non sans avoir eu sans doute des échos du report de GTA 6 pour éviter de griller sa meilleure cartouche de l’année au même moment.

Jason, l'un des deux protagonistes de GTA 6
Jason, l'un des deux protagonistes de GTA 6 © Rockstar Games

Ubisoft que l’on murmure avec de nombreux jeux plutôt programmés pour 2026 (le nouveau Rayman, Far Cry 7, un nouveau The Division, le prochain Ghost Recon…) va sans doute revoir ses plans pour éviter l’embouteillage. On pressent toujours l’arrivée d’un remake de Assassin’s Creed 4 Black Flag qui a toutes les caractéristiques d’un excellent shadow drop (jeu disponible immédiatement). Xbox vient de réussir son tour de force avec The Elder Scrolls IV : Oblivion et devrait donner beaucoup d’idées à d’autres. Au grand dam des jeux indépendants qui risquent de ne plus avoir d’espace pour s’exprimer. Tout le monde n’aura pas la chance et le talent de Clair Obscur: Expedition 33. Sans doute le jeu le plus heureux de voir GTA 6 basculer de l’autre côté de l’année et qui peut désormais se rêver en meilleur jeu de l’année.

Melinda Davan-Soulas