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"Comme si j'avais à nouveau huit ans": quand la folie "Pokémon TCG" s'empare des jeunes adultes

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Avec plus de 60 millions de téléchargements en deux mois, le jeu de cartes virtuelles à collectionner est un véritable succès. La clé de la réussite tient en deux mots: miser sur la nostalgie et la (fausse) gratuité.

"Quoi? Tu as eu Pikachu Ex?", s'étouffe Léna. "C'est relou, ça fait trois semaines que j'essaye de l'avoir." "Ça te dit de m'échanger ton Salamèche?", propose Sophie. En soirée, au travail, ou en cours, c'est simple, les Pokémon sont sur toutes les lèvres.

Dernier exemple en date avec Pokémon TCG Pocket. Sorti en France le 30 octobre dernier, le jeu est déjà un véritable carton. En seulement deux mois, l'application mobile a été téléchargée plus de 60 millions de fois.

Le principe n'est pourtant pas novateur: collectionner les célèbres cartes Pokémon, lancées en 1996, mais cette fois-ci sur smartphone. Les utilisateurs ouvrent des boosters (des paquets de cartes, NDLR), collectionnent les monstres, s'échangent des cartes et s'affrontent en combat. Bref, exactement ce que font les enfants dans les cours de récré depuis bientôt 30 ans.

Les collections de cartes sont magnifiquement mises en avant
Les collections de cartes sont magnifiquement mises en avant © JCC Pokémon

Traverser et connecter les générations

"Les cartes Pokémon ça parle à tout le monde. Les gens des années 1990, ma génération, et même aujourd’hui, dans les cours de récréation, ça cartonne encore", observe Angela, 24 ans.

C'est justement cet aspect intergénérationnel et nostalgique qui séduit les joueurs, dont elle fait partie. Elle se décrit comme une grande fan de la licence. "Quand j'étais petite, j'adorais ouvrir des paquets de cartes Pokémon”, narre-t-elle. "Et je continue à le faire." Le jeu mobile de la franchise est donc une nouvelle façon d’étendre sa collection, mais cette fois-ci, sur téléphone.

"Typiquement, l’extension avec les Pokémon de Sinnoh (une région dans le jeu, NDLR) vient de sortir. Je l'attendais avec impatience! Ce sont les Pokémon de l’époque où j'ai commencé à jouer aux jeux vidéo", s’enthousiasme-t-elle. Et Angela est loin d’être une exception. Dans son entourage, ils sont nombreux à être devenus accros à l’application mobile.

Des cartes sur Pokémon TCG
Des cartes sur Pokémon TCG © capture d'écran

"On en parle tous les jours"

“Avec mes collègues, on parle de Pokémon TCG tous les jours", complète Angela. "A chaque fois, on ouvre un booster ensemble ou on se montre nos cartes. (...) On en parle tellement qu’à force, notre manageuse qui doit avoir la quarantaine a fini par télécharger l’application."

C’est également grâce au bouche à oreille que Justin a entendu parler du jeu... en pleine compétition de tir à l'arc. "A la pause, trois personnes ont commencé à sortir l’application. J’étais avec des jeunes d’une dizaine d’années, il y avait ce côté un peu marrant de passage de génération", se souvient-il.

Le jeune homme loue un jeu "simple, gratuit et efficace". Il ouvre l'application dès qu’il a "cinq minutes" devant lui, surtout pour collectionner les cartes. "J’ai toutes les cartes classiques des deux premières extensions", rappelle-t-il fièrement. Et il est bien parti pour compléter la troisième, sorti il y a à peine un mois.

De son côté, Mathilde à découvert l'application mobile grâce à son petit ami. "Ma première réaction, c’était de lui dire: 'tu abuses de jouer à Pokémon à ton grand âge'", sourit l’étudiante en droit. Pourtant, la jeune femme le reconnaît: elle est vite devenue addict.

"Comme le jeu de cartes de notre enfance"

“C’est vraiment comme le jeu de cartes de notre enfance, mais en dématérialisé", note-t-elle. "Avec la 3D, c'est super réaliste. On retrouve ce côté 'madeleine de Proust' avec la possibilité d’ouvrir des boosters avec le doigt et que le paquet se déchire.(...) C'est un sentiment spécial, comme si j'avais à nouveau huit ans."

Un avis partagé par Julien, 26 ans, kinésithérapeute. Le jeune homme a découvert le jeu dès sa sortie. "J'avais mis une alerte pour le lancement", se remémore-t-il. Ce qu'il préfère? Collectionner les cartes évidemment. "Elles sont vraiment magnifiques", s'emballe-t-il. "Le côté virtuel donne un vrai plus avec les animations qu'on ne peut pas retrouver dans la version physique."

Les joueurs pourront recevoir des cartes immersives.
Les joueurs pourront recevoir des cartes immersives. © The Pokémon Company

L'autre gros avantage du jeu mobile, c'est que les cartes sont gratuites. Ici, pas besoin de dépenser 8 ou 12 euros pour obtenir des cartes, les joueurs peuvent ouvrir deux paquets par jour. "Un booster, ça coûte super cher. Tout le monde n'a pas les moyens de s'en offrir", déplore Momo. "Avec Pokémon TCG, on peut en ouvrir sans rien dépenser."

Un jeu qui parle aux fans de la licence, mais pas seulement. Tiktok, Twitch, ou encore Instagram et X: les vidéos du jeu pullulent sur les réseaux sociaux. Pour preuve, le hashtag #pokemontcg regroupe plus d'1,7 million de publications sur Tiktok. Sur Twitch, certains streamers et youtubeurs multiplient les ouvertures de paquets en vidéo. C'est le cas de Le Bouseuh (2,83 millions d'abonnés). Ses publications dépassent les 300.000 vues.

À tel point que le professeur de Louise a évoqué le phénomène Pokémon TCG en cours de marketing. Ce qui a motivé la jeune femme à télécharger l'application. Si elle apprécie collectionner les cartes, elle est surtout attirée par le mode combat. "J’aime bien l’adrénaline que ça procure, et tu peux jouer contre tes amis", souligne Louise. Angela aussi s’est mise aux combats sur l’application.

"Ils savent retenir les joueurs"

"Dans le métro, quand je vais au travail le matin et qu’il y a trop de monde pour que je puisse lire mon livre, je sors mon téléphone et je fais 4 ou 5 combats, détaille-t-elle. D’autant que les combats ne durent que quelques minutes… le temps d’une pause-café.

"A chaque pause-déjeuner, on fait un combat avec mes collègues", sourit Sophie. En parallèle, elle n'oublie jamais de leur montrer sa dernière carte rare. "C'est un peu comme si à la récréation, on obtenait un Dracaufeu et qu'on le montrait à nos amis." La jeune femme de 24 ans a découvert le jeu grâce à son petit frère. "J'ai téléchargé l'application pour jouer avec lui", glisse-t-elle. Maintenant, elle passe des heures sur Pokémon TCG. "Ça m'arrive de faire des combats jusqu'à 3 heures du matin", avoue celle qui a déjà passé 5 heures sur le jeu.

"Ils savent retenir les joueurs. Au début, tu reçois 1.000 cadeaux, tu avances rapidement dans le jeu. Et surtout, tu tombes sur des bonnes cartes, tu as l'impression d'avoir de la chance. C'est très stimulant et ça te fait rester sur le jeu", analyse l'assistante de production.

Le hic, c'est que cette pseudo-chance se tarit très vite. Il faut ensuite attendre des heures et des heures pour tenter d'obtenir de nouvelles cartes. Des mécanismes frustrants, donc, et surtout très rentables. Ce jeu, bien que gratuit, est en réalité un free-to-play. Concrètement, les internautes sont encouragés à dépenser de l'argent pour obtenir des boosters plus rapidement. Certains ont donc craqué pour l'abonnement premium. Moyennant 9,99 euros par mois, ils ont ainsi accès à un booster en plus ainsi qu'à des missions spéciales.

Ressortir ses vieilles cartes du grenier

C'est le cas de Thomas, 25 ans. "J'en avais marre d'attendre de piocher de bonnes cartes pour compléter mon deck", confirme-t-il. "Sans certaines cartes, c'est quasiment impossible de gagner des combats." Pourtant, il y a à peine quatre mois, l'étudiant en ressources humaines avait presque oublié le nom de Salamèche ou Tiplouf. Depuis, c'est l'amour fou.

"Ils ont réussi à remettre les cartes Pokémon à la mode", salue le coach sportif. "Ils jouent sur la nostalgie et ça fonctionne. On est contents de revoir nos héros d'il y a 15 ans." À tel point que certains ont ressorti leurs classeurs d'époque.

"Après avoir joué à Pokémon TCG, j’ai même demandé à ma mère qu'elle retrouve mes cartes au grenier. Ça m'a vraiment fait replonger en enfance", plaisante Mathilde.

"Ça relance la vente des produits dérivés", poursuit Thomas. "Rien qu'hier, mon petit frère et ses amis ont acheté un tapis de jeu et des jetons pour faire des combats dans la cour." Le garçon de 14 ans n'avait pourtant jamais joué au célèbre jeu de cartes physique avant de devenir accro à sa version mobile. Une aubaine pour l'entreprise qui signe avec cette application le deuxième jeu mobile le plus lucratif de sa franchise, derrière Pokémon Go. Au total, Pokémon TCG a généré 400 millions de dollars de revenus en seulement 10 semaines.

Salomé Ferraris