"Aucun mot écrit par un humain": comment l'IA a contribué à créer une pièce écrite à la manière de Molière

Si Molière n’était pas mort en 1673, qu’aurait-il écrit? C'est la question que s'est posée l'équipe du projet Molière Ex Machina. Une troupe de théâtre de Sorbonne Université, à Paris, a créé, avec l'aide de l'intelligence artificielle, une pièce de théâtre dans le style de Molière.
Après le Misanthrope ou le Malade imaginaire, le célèbre dramaturge, mort en 1673, présente pour la première fois en 2025, L'Astrologue ou les faux présages. On y fait la connaissance d'un père qui décide de consulter les "astres" et de promettre à sa fille une "union des plus prospères"... avec un homme dont elle ne veut pas. Dorine, la servante, comme souvent, intervient pour tenter de l'en dissuader. Une sorte de critique de la crédulité humaine.
Entraîner les modèles d'IA
"Nous avons plongé dans ses archives, ses bibliothèques et ses meilleures sources pour faire le pari qu'il aurait écrit sur l'astrologie", relate Pierre-Marie Chauvin, vice-président de Sorbonne Université, dans une vidéo de présentation partagée sur Instagram.
Pour réaliser cette prouesse, une troupe du Théâtre Molière Sorbonne s'est associée au collectif d'artistes Obvious, qui mène des recherches sur l'IA au sein de l'université. Avec un objectif: reconstituer l'univers du dramaturge en collant au maximum à la réalité historique.
"Notre contrainte, c'était qu'aucun mot ne soit écrit par un humain. Et pour autant, toute l'idée du processus est que l'humain soit central dans l'écriture de la pièce", précise Hugo Caselles-Dupé, membre d'Obvious, dans une vidéo sur Instagram.
Il a donc fallu créer le texte, les décors, la musique ou encore les costumes en collant au plus proche à l'univers du dramaturge et à ce que Molière aurait pu écrire. Pour ça, une seule solution: entraîner les modèles d'IA. Le Chat, le chatbot français de Mistral AI, s'est occupé du texte. L'outil a ainsi été alimenté avec des documents historiques, les pièces originales de Molière et des livres de sa collection personnelle.
Le collectif a également combiné plusieurs modèles d'IA. Pour les costumes, les IA se sont ainsi appuyées sur les dessins du costumier de l'époque: Henri de Gissey. Mais il a fallu essayer, et encore réessayer. Les premiers essais n'ont d'ailleurs pas été très concluants. "En demandant aux algorithmes: 'dessine-moi quelque-chose comme Henri de Gissey', on avait du mal à s'approcher de son coup de crayon", rappelle Gauthier Vernier, membre d'Obvious.
"Eviter les anachronismes"
Pour pallier ce problème, les experts ont assemblé les vrais dessins de l'artiste avec des descriptions très précises des images. "A partir de ces couples dessins et textes, on a entraîné l'algorithme à générer des dessins", poursuit-il. De quoi améliorer grandement le rendu... malgré quelques couacs.
Il est arrivé à l'IA de confondre un style de broderie de l'époque, baptisée "frogging" en anglais... et de générer des grenouilles sur les vêtements à la place du bon motif. A force, le système a assimilé le style des costumes de l'époque, la syntaxe ou encore l'humour de Molière.
C'est ensuite aux humains de mettre la main à la patte. Chaque production, textuelle ou visuelle, générée par IA est analysée et retravaillée par des experts du XVIIe siècle. "On essaye de simuler le processus créatif de Molière", insiste Mickaël Bouffard, historien de l'art et metteur en scène de la pièce au Théâtre Molière Sorbonne. "On corrige les textes pour éviter les anachronismes. Par exemple, au 17e siècle, une pièce doit absolument avoir un mariage. Au 18e, une comédie n'est pas obligée d'en avoir dans son intrigue."
Le résultat est ensuite réinjecté dans l'IA, et ainsi de suite jusqu'à tomber sur le résultat parfait. Parfois, plus de 14 allers-retours ont été nécessaires pour trouver la scène ou la farce parfaite. "On a fait une quinzaine de versions différentes", confirme Hugo Caselles-Dupé.
Le projet respecte les droits d’auteur, selon ses concepteurs qui ont aussi indiqué que la consommation d’énergie pour l'entraînement de l’algorithme était "très raisonnable".
L'Astrologue ou les faux présages sera d'abord présentée les 5 et 6 mai à l'Opéra du Château de Versailles. La pièce sera ensuite jouée dans d'autres lieux. La programmation n'a pas encore été dévoilée.