"Foutre le bordel": pourquoi les influenceurs sont-ils autant détestés au Japon?

Un habitué des scandales. Le streamer Johnny Somali, de son vrai nom Ismael Ramsey Khalid, a encore fait parler de lui. Son dernier fait d'armes? S'être accroché avec une employée d'une supérette en Corée du Sud pour avoir bu de l'alcool. Le vidéaste a depuis été mis en examen et est interdit de quitter le pays.
"Il a été mis en examen lundi sans être détenu pour avoir provoqué un scandale dans une supérette en octobre", a ainsi déclaré à l'AFP le porte-parole du bureau des procureurs du district sud de Séoul.
La dernière frasque d'une longue liste, donc. Plus tôt dans la semaine, l'Américain a fait la une des journaux coréens pour avoir "twerké" et embrassé une statue en hommage aux victimes de l'esclavage sexuel effectué par l'armée japonaise pendant la Seconde Guerre mondiale. Il avait également créé une fausse petite amie grâce à l'IA, ce qui est interdit en Corée du Sud.
Chantier abandonné, twerk et musique raciste
Depuis, le streamer a présenté ses excuses, précisant qu'un jeune "pouvait faire des erreurs".
En réalité, Johnny Somali avait déjà fait parler de lui dans un pays voisin: le Japon.
Cette fois-ci, l'épisode se déroule en janvier dernier, au coeur du métro japonais. Dans un live en direct sur Twitch, le streamer, tout sourire, hurle à tue-tête "Hiroshima", en référence aux bombardements atomiques, devant des passagers consternés. Dans une autre vidéo, on peut l'apercevoir crier plusieurs fois "Fukushima", en référence à l'accident nucléaire de 2011. Le tout sur un chantier... qui lui était pourtant interdit d'accès.
En parallèle, l'influenceur se filme en live dans la rue au Japon, alpague les passants, déambule dans le métro ou le train, une enceinte hurlant une musique raciste et se moque d'événements historiques.
Mais Johnny Somali est loin d'être un cas isolé.
Si beaucoup de youtubeurs étrangers se comportent correctement, certains ont fait des provocations leurs fonds de commerce. Le pionnier du genre est Logan Paul. En 2017, l'Américain avait défrayé la chronique en ayant rigolé de sa découverte d'un corps sans vie dans une forêt au pied du Mont Fuji, connue comme un lieu de prédilection pour les suicides au Japon.
Multiplication des incidents
"L'affaire Logan Paul a marqué les esprits", analyse dans une vidéo Mitsu, un youtubeur installé au Japon depuis une dizaine d'années. "On se disait que tout ce bâchage médiatique avait servi à montrer que son comportement était malhonnête et qu'au moins, après tout ça, personne n'oserait faire la même chose."
Pourtant, les incivilités au Japon ne se sont pas calmées, bien au contraire. Pour preuve, en février 2023, le streamer Suspendas se filme dans le métro japonais. Dans sa main, une enceinte qui crache une musique assourdissante. Face aux demandes des locaux de baisser le volume, le vidéaste se confondra en insultes envers les passagers. Quelques mois plus tard, en octobre, c'est le youtubeur Fidias Panayiotou (aujourd'hui eurodéputé) qui se lance un défi insolite: faire une course avec trois amis à travers le pays, mais en voyageant sans payer.
Sans surprise, les réactions ne se font pas attendre. De nombreux Japonais se plaignent sur les réseaux sociaux de ces incivilités à répétition. "Le Japon est l'un des pays les plus sûrs au monde. Je ne veux pas que des visiteurs détruisent cet environnement. S'il y a beaucoup d'étrangers comme ça, on n'en veut plus", expliquait un internaute japonais sous la vidéo de Fidias.
"Je crains que ça devienne une mode"
En France aussi, ces comportements interpellent. "Ce sont des vidéastes qui font des choses illégales, dans un pays qui n'est pas le leur, juste pour faire des vues", s'indigne le youtubeur Lusty dans une vidéo publiée en octobre 2023.
"Le succès de ces youtubeurs incite d'autres vidéastes à faire la même chose. Et je crains que ça devienne une mode, où on verrait de plus en plus de gens venir au Japon en quête de buzz pour foutre le bordel en allant de plus en plus loin", s'inquiète Mitsu.
En effet, bien qu'ils soient moins médiatisés, des dizaines de youtubeurs et streamers adoptent le même comportement dans l'archipel. Or, "la surproduction de ce genre de vidéos alimente un récit problématique. Cela détériore l'image qu'ont les Japonais des vidéastes et plus largement des étrangers", ajoute le vidéaste suivi par 187.000 abonnés. Le tout, dans un contexte où le surtourisme au Japon commence à poser problème.
Un avis partagé par Ichiban Japan, youtubeur spécialiste du pays et auteur du livre 72 saisons du Japon.
"Les locaux n'aiment pas trop les vidéos un peu 'wtf ("what the fuck", NDLR) Japon' ou 'regardez les Japonais font des trucs fous'. Ce qu'ont tendance à faire les youtubeurs", explique-t-il à Tech&Co.
Le gouvernement s'en mêle
"Au Japon, comme les gens ne vont pas forcément te rentrer dedans, se plaindre ou te dire quelque chose, certains vont croire que ce sont des PNJ [personnages non joueurs, ndlr]. Tu peux venir et faire n'importe quoi. Sauf qu'ils n'en pensent pas moins."
Ichiban Japan conseille donc d'adapter son comportement pour ne pas déranger les locaux. "La manière de filmer là-bas est très différente de ce qu'on a l'habitude de voir sur Youtube, où les gens se montrent beaucoup. Par exemple, tu ne vas jamais aller vers un Japonais et le filmer directement. Il faut instaurer une relation de confiance."
De son côté, le gouvernement Nippon commence à tirer la sonnette d'alarme. "Nous devons garantir la liberté de filmer aux youtubeurs et vidéastes, mais cela suppose qu'ils n'enfreignent pas les règles et ne commettent pas de forfaits, nous y veillerons avec les forces de l'ordre", annonçait Hirokazu Matsuno en octobre 2023 dans les colonnes du Point.
Une mise en garde, qui peut s'accompagner d'actes concrets. Johnny Somali a été arrêté en août et décembre 2023. Le gouvernement l'a condamné à payer une amende 200.000 yens (environ 1.260 euros) pour son intrusion sur le chantier. Le youtubeur de 24 ans a ensuite été renvoyé aux Etats-Unis, sans autre forme de procès.