Tech&Co
Réseaux sociaux

"J'ai volé sa carte d'identité et pris ma mère en photo": 22% des enfants vont sur les réseaux sociaux avant 10 ans

Selon les derniers chiffres de l’Arcom, que Tech & Co a pu consulter, l’âge moyen de la première utilisation d’un réseau social est de 12 ans.

Selon les derniers chiffres de l’Arcom, que Tech & Co a pu consulter, l’âge moyen de la première utilisation d’un réseau social est de 12 ans. - AFP

Malgré l’interdiction officielle avant 13 ans, l’entrée des enfants sur les réseaux sociaux se fait de plus en plus tôt: 22% des 11 ans disent y avoir accédé avant même leur dixième anniversaire. Un usage précoce qui s’accompagne de nouvelles habitudes numériques et de l’émergence de plateformes toujours plus attractives, comme le révèlent plusieurs études que Tech & Co a pu consulter.

De plus en plus tôt. Selon les derniers chiffres de l’Arcom, que Tech & Co a pu consulter, l’âge moyen de la première utilisation d’un réseau social est de 12 ans. La tendance s’accélère puisque 22% des enfants de moins de 10 ans ont déjà utilisé une plateforme, contre seulement 4% il y a sept ans. Et l’usage quotidien est massif: 83% des 11-17 ans se connectent chaque jour à au moins une plateforme, et la moitié d’entre eux fréquentent quotidiennement Instagram, TikTok ou Snapchat.

Rendez-vous immanquable de la rentrée numérique depuis plus de dix ans, l’étude “Born Social”, réalisée par l’agence Heaven, confirme elle aussi ce phénomène. Elle précise “qu’un pic d’équipement massif s’effectue toujours à 11 ans, un âge charnière entre le CM2 et la 6e”, et “qu’un enfant sur trois possède déjà un smartphone avant ses 11 ans”. Une généralisation précoce qui favorise naturellement leur présence sur les réseaux sociaux.

Des limites d’âges peu encadrés

Pour contourner les restrictions liés à l’âge sur les plateformes, 62% des jeunes admettent avoir menti sur leur âge lors de l’inscription "sans que cela ne donne lieu à beaucoup de vérifications", note l’Arcom.

"Il faut avoir au minimum 14 ans et vérifier, tu dois mettre ta carte d'identité (…) Moi, j'ai volé celle de ma mère, et après, j'ai dit, 'Maman, fais une photo pour voir comment tu vas vieillir'... Et alors, c'était faux, en fait, c'était pour ça", raconte une jeune fille, encore au collège aujourd'hui.

Le baromètre Born Social ajoute que les jeunes de moins de 13 ans en 2025, nés après 2012, c’est-à-dire dans un monde déjà marqué par YouTube, Facebook, Instagram (après son rachat) et même Snapchat, déclarent encore à 75 % utiliser régulièrement des réseaux sociaux, des plateformes... auxquelles ils ne sont pas censés avoir accès.

Du côté de la loi, on explique que “les réseaux sociaux exerçant leur activité en France devront refuser l’inscription à leurs services des mineurs de moins de 15 ans, sauf si une autorisation est donnée par l’un des titulaires de l’autorité parentale”. Dans les faits, aucun décret d’application n’a encore été publié.

De nouveaux usages...

L’Arcom relève également que “l’attachement des adolescents aux plateformes reste très fort. Ils les considèrent comme essentielles à leur sociabilité. Elles font partie intégrante de leurs pratiques culturelles, de divertissement et d’information”. De son côté, l’étude de l’agence Heaven observe que les jeux vidéo demeurent le centre d’intérêt le plus prégnant chez les 11-12 ans.

Ce phénomène est particulièrement marqué chez les garçons, dont 82 % déclarent s’y intéresser “tous ou presque”, mais il concerne également les filles à un niveau élevé (47 %). L’humour, les mangas ou encore le football suivent dans le classement. Les centres d’intérêt reflètent par ailleurs certaines représentations genrées : la mode et l’art apparaissent davantage associés aux filles, tandis que le football et les mangas suscitent plus d’attrait chez les garçons.

Et de nouveaux espaces de socialisation

Une autre évolution significative est donc à noter: les jeunes de moins de 13 ans ont découvert de nouveaux espaces de socialisation, particulièrement immersifs. En effet, l’une des différences majeures dans leurs nouveaux usages numériques réside dans leur habitude de se retrouver sur des plateformes de jeux en ligne, notamment les très populaires Roblox et Fortnite.

Les nouveaux comportements numériques se caractérisent par le fait que les jeunes se réunissent sur des sites de jeux en ligne, tels que les très prisés Roblox et Fortnite.
Les nouveaux comportements numériques se caractérisent par le fait que les jeunes se réunissent sur des sites de jeux en ligne, tels que les très prisés Roblox et Fortnite. © AFP

L’étude Born Social souligne ainsi que “les jeux vidéo en ligne sont utilisés par plus de 60 % d’entre eux pour passer du temps avec leurs amis”. Cette année, plus de 61 % des jeunes interrogés déclarent utiliser ces plateformes pour échanger et se divertir entre amis, contre seulement 57 % pour les applications de messagerie (comme WhatsApp ou Messenger). Ce chiffre est en hausse de 22 % depuis 2020.

Roblox reste la plateforme la plus populaire, appréciée de manière relativement équilibrée par les garçons et les filles. On observe également un regain d’intérêt pour Fortnite et Minecraft, possiblement lié à l’actualité cinématographique, au détriment de Brawl Stars.

Cyberharcèlement et contenus choquants

Mais cette précocité digitale n’est pas sans conséquences: 39 % des adolescentes estiment que les réseaux sociaux affectent leur santé mentale et 58% des jeunes déclarent avoir été exposés à des contenus violents, selon les chiffres fourni par l’Arcom.

"Les adolescents sont fortement exposés aux risques malgré leur maîtrise de certains outils" souligne l’autorité publique, qui insiste qu’au cours de son enquête, "les adolescents ont témoigné des impacts parfois très forts et durables que ces événements peuvent avoir sur leur bien-être (manque de sommeil, mauvaises rencontres, perte de confiance en soi…)".

"Je ne me rappelle pas d’une vie sans réseaux sociaux", lâche une jeune fille interrogée dans le baromètre Born Social.

Marc, 14 ans et élève de 3e, et qui a témoigné dans l'étude de l'Arcom, raconte son exposition à des contenus inadaptés via les réseaux sociaux qu’il utilise quotidiennement comme TikTok, Instagram, Snapchat et surtout Telegram. Cette dernière application l’inquiète particulièrement: il y distingue une face "saine" et une autre "dangereuse", avec des canaux diffusant des contenus explicites, violents ou pornographiques.

"Sur Telegram, il y a juste des gens qui peuvent t’envoyer des vidéos bizarres", explique-t-il. Marc dit ne pas avoir de véritable moyen de filtrer ces envois, si ce n’est de bloquer après coup. Face à ces situations, il adopte une posture désabusée : “J’arrête la vidéo, ça me dégoûte”.

"Je pense qu’ils devraient faire un ministre des réseaux sociaux, qui ferait plus de prévention (…) Dès qu’il y a une personne qui insulte trop souvent des gens, qui font des vidéos, ils doivent payer une amende, une amende chère", estime en résumé, une jeune fille de 14 ans.

Raphaël Raffray