Whatsapp, Telegram... Pourquoi le gouvernement veut en finir avec le chiffrement des messageries

Les messageries chiffrées Whatsapp et Signal. - Damien MEYER / AFP
Surveiller les messageries chiffrées pour mieux lutter contre les trafiquants de drogue. Tel était l'objectif d'un amendement de la loi Narcotrafic, examinée à l'Assemblée nationale cette semaine. Pour la confidentialité des utilisateurs, les applications comme Whatsapp ou Signal chiffrent en effet les messages depuis plusieurs années. Cette technique permet de s'assurer que seuls les participants à une discussion, soit l'expéditeur et le destinataire, y aient accès.
L'amendement de la loi Narcotrafic voulait permettre aux autorités de surveiller ces messageries en y introduisant une porte dérobée. Comme l'a expliqué le sénateur LR Cédric Perrin, défenseur de l'amendement, auprès de Tech&Co, il s'agissait de permettre à "une tierce personne" d'être intégrée dans une discussion et de l'écouter sans être détectée. L'idée est évidemment d'intercepeter les conversations entre criminels pour mieux démanteler les réseaux.
Les députés de l'Assemblée nationale ont cependant rejeté cet amendement ce jeudi 20 mars, décidant de maintenir la confidentialité des messageries chiffrées. Un revers pour le ministre de l'Intérieur, Bruno Retailleau, qui espérait les convaincre de la nécessité de cette mesure.
Une histoire qui se répète
Le rejet de cet amendement n'est pas vraiment une surprise. La France n'est pas le premier pays à tenter de compromettre le chiffrement des messageries pour finalement échouer.
"C'est une revendication de longue date qui remonte quasiment à une quinzaine d'années de cela et qui, régulièrement, se fracassait sur l'autel des réalités techniques et juridiques", souligne Alexandre Archambault, avocat spécialisé dans les questions de vie privée sur internet, auprès de Tech&Co.
En 2023, le Royaume-Uni souhaitait par exemple rendre les messages chiffrés accessibles pour y chercher d'éventuelles preuves de délits dans le cadre du projet de loi sur la sécurité en ligne. Au grand dam de Whatsapp et Signal, qui s'y opposaient. Le gouvernement a cependant fini par faire marche arrière sur cette mesure.
L'amendement de la loi Narcotrafic a aussi suscité de nombreuses critiques et inquiétudes. "C'est dangereux que la France suive l'exemple d'autres pays liberticides", a déclaré Raphaël Auphan, directeur des opérations chez Proton, entreprise proposant des services protégeant la vie privée des utilisateurs, auprès de Tech&Co.
La Russie avait ainsi essayé de forcer la société à introduire une porte dérobée dans sa messagerie électronique, qui est aussi chiffrée, pour accéder aux données des utilisateurs, mais elle a refusé. Raison pour laquelle le Kremlin a banni Proton de son pays. De même pour l'Iran.
Un problème d'équilibre
Dans le cas de la France, les messageries ont, une nouvelle fois, montré leur opposition à la fin du chiffrement. La PDG de Signal, Meredith Whittaker, a par exemple menacé de quitter la France, s'il était voté, dans un message virulent sur X, rappelant le danger d'un tel projet.
Le député Éric Bothorel (Ensemble pour la République), très engagé sur la question, a aussi fait part de son opposition à cet amendement. "C'est tout un pan de la confiance qu'on a dans ses outils qui va s'effondrer" avec l'introduction d'une porte dérobée, déplore-t-il auprès de Tech&Co. Selon lui, c'est d'aillleurs pour cette raison que le Royaume-Uni y a renoncé. "Le chiffrement ne sera pas menacé", s'est-il réjoui sur X, à la suite du rejet de l'amendement.
Derrière cet amendement, se cache un problème d'équilibre entre vie privée et sécurité. Si le chiffrement permet de respecter la vie privée des utilisateurs, il est aussi un moyen de protéger les conversations des criminels. Les autorités ne peuvent ainsi pas accéder à ces échanges pour déceler des menaces.
"Il faut poursuivre les auteurs de faits délictueux sur le numérique comme dans la vie réelle, et donc, l'État est parfaitement légitime à enquêter sur ces éléments-là, mais pas au prix du reniement des fondamentaux de l'État de droit", souligne Alexandre Archambault.
Le député Éric Bothorel considère également qu'il ne faut pas revenir sur les libertés fondamentales, d'autant plus que "des interpellations, des belles affaires se font tous les jours", sans affaiblissement du chiffrement.
Utilisation massive du chiffrement
Comme le rappelle Alexandre Archambault, il ne faut aussi pas oublier que le chiffrement est utilisé massivement, et pas seulement par les criminels. Au-delà des utilisateurs lambda, il est aussi utile dans certaines professions. "Nous autres aussi, avocats, médecins... Comment protéger les secrets que nous confient nos clients, nos patients? C'est grâce au chiffrement", explique-t-il.
Pour Alexandre Archambault, comme pour la PDG de Signal et beaucoup d'autres personnes, il n'est pas possible d'introduire une porte dérobée pour offrir un accès à une personne en particulier.
"Si on commence à affaiblir, au nom d'une bonne intention, cette protection pour quelques-uns, on l'affaiblit pour tous", rappelle-t-il.
Concrètement, si une porte dérobée est introduite pour permettre aux autorités françaises de surveiller des conversations, d'autres personnes ou autorités pourront aussi s'en servir aux mêmes fins. Ces obstacles ne veulent pas dire qu'il est impossible d'agir sur le numérique, précise l'avocat. Mais, simplement qu'il ne faut pas le faire n'importe comment.