
Police de Roumanie
Mohamed Amra: de la Normandie à la Roumanie, récit des neuf mois de traque de l'ennemi public n°1
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Le mardi 14 mai 2024, Mohamed Amra est à bord d'un camion pénitentiaire sur l'A154, dans le département normand de l'Eure. Un convoi de plusieurs véhicules le ramène du tribunal correctionnel de Rouen vers sa cellule de la maison d'arrêt d'Évreux, où il est incarcéré, notamment à la suite de plusieurs condamnations pour un rodéo motorisé et plusieurs vols aggravés en banlieue d'Évreux.
Mais alors que le convoi passe les barrières du péage d'Incarville, une voiture fonce à contresens et s'encastre dans le fourgon pénitentiaire en tête de file. Plusieurs hommes cagoulés et lourdement armés ouvrent alors le feu sur les agents qui transportent Mohamed Amra. Au final, trois d'entre eux sont blessés et deux autres sont tués: Arnaud Garcia et Fabrice Moello.

En quelques minutes, le détenu est extrait de l'escorte et prend la fuite avec les hommes armés qui sont venus le délivrer. C'est le début de la cavale pour Mohamed Amra et ses complices qui deviennent les "ennemis publics numéro 1", selon les mots utilisés par Gérald Darmanin, alors ministre de l'Intérieur.
Déploiement massif de forces de recherche
Les autorités mobilisent immédiatement de très importants moyens pour retrouver le fugitif: le plan Epervier, un "plan immédiat d'intervention", est déployé pour permettre de coordonner les différents corps des forces de l'ordre pour quadriller une zone afin de retrouver un suspect. Au plus fort de la traque, ce sont 450 policiers et gendarmes qui sont déployés.
Sur demande de la France, l'agence internationale Interpol émet une notice rouge destinée à informer les polices des tous les pays membres qu'une personne est recherchée et à leur demander leur aide pour permettre sa localisation. Mais Mohamed Amra reste introuvable.
Son nom et son visage sont pourtant diffusés sans cesse dans les médias. Le public découvre alors le profil de cet homme jusqu'alors seulement connu de la police et de la justice: condamné 13 fois pour des vols et des délits routiers, il ne semble pas, de prime abord, être un ponte du grand banditisme. Mais les enquêteurs le soupçonnent d'occuper une place éminente dans le narcotrafic français.

Surnommé "La Mouche" dans le milieu, Mohamed Amra est également mis en examen dans deux affaires: il est soupçonné d'avoir commandité l'enlèvement et l'assassinat d'un homme retrouvé dans un véhicule calciné au nord de Marseille et il est également le principal suspect dans un dossier d'impliquant des tirs d'armes à feu sur le domicile d'une victime d'extorsion à Saint-Étienne-du-Rouvray, près de Rouen.
En octobre 2023, un magistrat évoque pour la première fois, le terme de "clan Amra", fort d'"une vingtaine de membres", selon une source proche de l’affaire. Dans ses échanges avec l'extérieur, les policiers ont découvert qu'il menait son trafic d'une main de fer, n'hésitant pas à recourir à l'ultra-violence.
Mohamed Amra était donc vraisemblablement un caïd qui comptait dans son milieu. Mais le trentenaire était-il lui-même au courant qu'un commando viendrait à son secours ? Deux jours seulement avant l'attaque du péage d'Incarville, il avait déjà tenté de s'évader en sciant les barreaux de sa cellule à Évreux. Des faits qui lui avaient valu un placement en quartier disciplinaire.
Un détenu qui pouvait communiquer avec l'extérieur
Il est par ailleurs avéré qu'en prison à Évreux, Mohamed Amra était loin d'être coupé du monde extérieur: il a eu notamment accès à plusieurs téléphones lui permettant de gérer son trafic de stupéfiants. Auparavant, alors qu'il était détenu à la prison de la Santé à Paris en 2022, il avait cherché à se procurer des fusils d'assaut pour la somme de 6.000 euros.
En parallèle de la traque, c'est toute l'institution pénitentiaire qui est endeuillée et qui se mobilise pour demander davantage de moyens pour assurer la sécurité des agents, en particulier lors des sensibles transferts de prisonniers.

Pour son trajet aller-retour vers Rouen, le détenu faisait l'objet d'une escorte stricte, de niveau trois sur une échelle allant jusqu'à quatre. Il n'était toutefois pas inscrit au sein du fichier dit DPS, ces Détenus particulièrement surveillés car considérés comme capable de violences ou de tentative d'évasion.
Progressivement, le nom de Mohamed Amra s'estompe de l'actualité. Des hommages sont rendus aux victimes alors que leurs familles partagent publiquement leur douleur. Mi-juin 2024, "plusieurs centaines d'enquêteurs" étaient toujours mobilisés sur la traque, affirmait Éric Dupond-Moretti, alors ministre de la Justice. Un appel à témoins est lancé un mois plus tard. La piste d'un départ à l'étranger apparaît auprès des enquêteurs comme la plus probable. La cavale de "La Mouche" continue.
Une capture à Bucarest
Jusqu'à ce samedi 22 février. En un message sur le réseau social X, le ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau met fin neuf mois d'incertitude: "Je félicite toutes les forces qui ont permis l’arrestation de Mohamed Amra en Roumanie aujourd’hui. Je remercie chaleureusement la Roumanie pour sa coopération décisive".
Le parquet de Paris et la Juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée (Junalco) communiquent dans la foulée, prudemment: l'individu est "fortement susceptible d’être Mohamed Amra" et "les vérifications qui s’imposent sont en cours".
Selon les informations de BFMTV, le trentenaire a été arrêté dans la capitale Bucarest. Aucun coup de feu n'a été tiré. Le suspect n'est pas blessé.
Depuis le Salon de l'agriculture de Paris où il est en visite, Emmanuel Macron salue un "formidable succès" pour les autorités françaises.
Sur des images publiées par la police roumaine, on voit un homme ressemblant fortement à Mohamed Amra, les cheveux teints en roux, menotté et maintenu par des hommes cagoulés portant des gilets pare-balles portant l'inscription "politia", "police" en roumain.

Cette arrestation, c'est le résultat "des mois et des mois d'enquête", assure dans la soirée Bruno Retailleau. "Très régulièrement, on me faisait le point. Vous n'imaginez pas les techniques, les efforts qui ont été déployés sur un individu qui était très très dangereux", a ajouté le ministre de l'Intérieur.
Le parquet de Paris a fait savoir qu'Amra a été identifié grâce à un travail de coopération de l'Office central de lutte contre la criminalité organisée et la police roumaine. Les enquêteurs français ont détecté son départ à l'étranger et ont alerté la police roumaine, qui a procédé à l'interpellation aux alentours de 15h, près d'un centre commercial, a fait savoir la procureure de Paris.
Bientôt entre les mains de la justice française
Mohamed Amra a été remis à la DIICOT, la police roumaine en charge de la criminalité organisée). La procureure précise que l'identification du fugitif a pu être confirmée par une reconnaissance faciale et par la comparaison d'empreintes digitales, en dépit du changement de coloration de ses cheveux.
L'homme, appréhendé sur la base d'un mandat d'arrêt européen des juges d'instruction français, doit être présenté le 23 février aux autorités judiciaires roumaines, qui statueront sur sa remise à la justice française.
Parallèlement, BFMTV a appris qu'un complice de Mohamed Amra a été arrêté en Espagne. Pour le moment, aucune information quant à son rôle exact (évasion, traque...) n'a été établie.
Dans la soirée du 22 février, dix personnes de l'entourage de Mohamed Amra ont été interpellées. Elles sont suspectées d'être impliquées dans l'évasion du fugitif en mai 2024, ainsi que d'avoir permis sa dissimulation.
Reste désormais à savoir ce qu'il en est des membres du commando du péage d'Incarville. L'étau se resserre-t-il aussi sur eux ? L'interrogatoire de Mohamed Amra pourrait donner de nouvelles clés aux enquêteurs en vue de clore définitivement la traque liée à cette affaire.