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"Véritables forêts animales", les gorgones sont décimées par les canicules marines en Méditerranée

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Tristan Estaque, chargé de mission scientifique chez Septentrion Environnement, alerte sur les conséquences du réchauffement climatique sur les gorgones, une espèce de coraux.

Plus de 80% des gorgones rouges ont été décimées l'été dernier en Méditerranée. La cause? Les vagues de chaleur successives, indique une étude scientifique publiée fin septembre par le Septentrion environnement.

"Les gorgones sont des espèces cousines des espèces de coraux tropicaux, et elles ont une thermotolérance fixe", explique Tristan Estaque, chargé de mission scientifique chez Septentrion environnement sur le plateau de BFM Marseille Provence, ce dimanche 22 octobre.

2022, une année mortelle

La mer, comme la terre, est de plus en plus souvent touchée par des épisodes de canicules liés au réchauffement climatique. "Quand la température dépasse ce seuil de thermotolérance, on commence à observer des nécroses (...) et on observe des phénomènes de mortalité massive sur des populations entières", indique Tristan Estaque.

En 2023, l'épisode de canicule marine a été moins violent qu'en 2022 car le mistral a soufflé, permettant de refroidir l'eau. En 2022, les mortalités de gorgones ont été extrêmes.

"On a eu une colonne d'eau qui a énormément chauffé (...) On a eu très peu de mistral pendant l'été et beaucoup de vent de sud-est qui a eu pour effets de venir pousser des masses d'eau chaudes du sud de la Méditerrannée et ensuite de les bloquer sur la côte au niveau de Marseille et on n'a pas eu de (...) phénomène d'eau froide en surface et donc on a eu de l'eau très chaude pendant très longtemps", retrace Tristan Estaque

Les températures ont atteint plus de 4 degrés au-dessus des températures moyennes historiques observées. Et ce, sur de très longues périodes et sur des profondeurs allant jusqu'à 30 mètres.

"27 degrés ont été enregistrés à 20 mètres de profondeur. Ce qui est énorme. Et on a eu à 25-30 mètres, des températures de 25 degrés, ce qui n'avait jamais été observé jusqu'en 2022", assure Tristan Estaque.
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Les gorgones, abris d'un riche écosystème

Une fois perdues, les gorgones ne sont pas réapparues. Souvent comparées à des forêts, elles abritent un riche écosystème. "Elles servent d'abri, de gîtes, de lieu de reproduction à tout un tas d'espèces, de poissons, de crustacés", précise Tristan Estaque. Les canicules marines sont alors comme des incendies, rasant tout sur leur passage.

Les gorgones de Méditerranée, le plus souvent pourpres, "forment de larges colonies qui se fixent sur les substrats rocheux des fonds marins situés entre 7 et 110 mètres de profondeur", explique le Parc national des Calanques, notant qu'elles constituent de "véritables 'forêts animales' qui abritent 15 à 20% des espèces connues en Méditerranée".

Si cette dernière couvre moins d'1% de la surface océanique de la planète, elle abrite "18% de toutes les espèces marines connues", selon un rapport du Réseau des experts méditerranéens sur le changement climatique (Medecc), et présente déjà "la plus forte proportion d'habitats marins menacés en Europe".

Pour le futur, Tristan Estaque s'attend à ce que les canicules marines atteignent des profondeurs de plus en plus importantes: "Peut-être qu'en 2025, ça sera 40 mètres la profondeur limite impactée par les mortalités massives".

Peu de solutions

Aujourd'hui, les solutions sont très rares pour lutter contre l'inexorable augmentation des canicules marines liées au réchauffement climatique.

Il est en revanche possible de protéger les populations de gorgones situées plus profondément. "La gorgone rouge par exemple, on la retrouve jusqu'à plus de 100 mètres de profondeur. C'est une population en très bonne santé. Aujourd'hui, par exemple, à 40 mètres, les populations ne sont pas encore impactées par les canicules marines", informe Tristan Estaque.

Il nuance: "Par contre, elles sont impactées par un tas d'autres activités anthropiques comme la plongée, les filets de pêche, etc." Pour lui, il faudrait revoir les mesures de gestion et imaginer comment protéger ces populations.

Des tests de transplantations de morceaux de gorgones rouges sont effectués par divers organismes. Mais Tristan Estaque est clair. "On ne va pas créer une nouvelle population, c'est impossible. Si on transplante des gorgones qui ne sont pas adaptées au changement climatique et au réchauffement des eaux, on a beau les transplanter, à la prochaine canicule marine, elles vont mourir comme les autres", résume-t-il.

Nolwenn Autret