Procès de la rue d'Aubagne: les propriétaires ont-ils leur place sur le banc des prévenus?

La salle d'audience du tribunal de Marseille le jeudi 7 novembre 2024 avant le début du procès des effondrements des immeubles rue d'Aubagne en 2018. - Christophe SIMON / AFP
Au deuxième jour du procès des effondrements de la rue d'Aubagne à Marseille, ce vendredi 8 novembre, les propriétaires ont contesté leur présence sur le banc des prévenus mais, pour les familles de victimes, ce dossier, symbole du logement indigne, ne peut se juger sans eux.
Ce procès, prévu pour durer six semaines, "n'est pas seulement celui de la lèpre de l'habitat indigne, de l'incurie des politiques", c'est aussi celui de "l'âpreté au gain, la rapacité des propriétaires-bailleurs", a insisté Me Emmanuel Daoud, avocat notamment de la famille de Julien Lalonde, un des huit morts de ce drame du 5 novembre 2018.
Après la foule de jeudi, lorsque des centaines de Marseillais anonymes étaient venus témoigner de leur solidarité, l'immense salle du tribunal judiciaire était bien plus clairsemée vendredi. Il faut dire que l'audience était technique, consacrée à des demandes de nullités des avocats des prévenus.
Initialement, seuls quatre prévenus avaient été renvoyés devant le tribunal par les juges instructeurs : un ex-adjoint au maire, un expert architecte, un syndic et un bailleur social. Les copropriétaires, entendus comme témoins pendant l'enquête, ont été cités directement à comparaître par certaines des 87 parties civiles. Et finalement, le procès a commencé avec 16 prévenus.
"Réponse à donner au peuple"
"L'information judiciaire s'est complètement désintéressée des copropriétaires" et "avec les familles, il paraissait totalement impossible qu'ils ne soient pas présents à ce procès", avait expliqué à l'AFP lundi Me Brice Grazzini, qui représente une trentaine de parties civiles.
Au delà des victimes directes, il y a "une réponse à donner pour le peuple marseillais", a insisté Me Mourad Mahdjoubi, reprenant le phrasé des supporters de l'Olympique de Marseille, à quelques heures d'un match au Vélodrome où justement un tifo de soutien devrait être déployé.
Six ans après, la deuxième ville de France reste traumatisée par cette catastrophe qui avait jeté une lumière crue sur l'inaction - politique notamment - dans la lutte contre l'habitat indigne. Ce qui avait précipité la fin du règne d'un quart de siècle du maire LR Jean-Claude Gaudin, aujourd'hui décédé, et participé au basculement à gauche de la ville aux municipales de 2020.
La directrice d'enquête auditionnée mardi
"Personne n'a oublié où il était le 5 novembre 2018" mais "on attend tellement de ce procès que ça donne le vertige", a expliqué Christophe Bass, l'avocat du syndic, le cabinet Liautard. Reconnaissant l'émotion légitime, les avocats de la défense ont néanmoins demandé à la cour de se placer sur le terrain du droit.
Dans les citations directes, "vous n'avez pas de détails" sur ce qui est reproché, sur la nature des travaux mis en cause, les dates. "Donc nous n'avons pas d'éléments pour nous défendre correctement", a plaidé Me Ophélie Kirsch qui représente plusieurs de la dizaine des copropriétaires cités.
"Un procès n'a de sens que si la décision nait de la contradiction" et "les citations de groupe nous plongent dans un brouillard qu'il va falloir éclaircir", a plaidé Me Bass. Réponse du président du tribunal correctionnel Pascal Gand: ces points sont "joints au fond", c'est-à-dire qu'ils seront tranchés dans le jugement.
Dans la salle, les familles de victimes ont écouté religieusement ces allers retours procéduraux. Les proches de Simona, jeune Italienne décédée, n'ont presque pas quitté leurs écouteurs pour avoir la traduction en direct de l'audience.
À partir du mardi 12 novembre, le procès entrera dans le vif du sujet avec notamment l'audition attendue de la directrice d'enquête. Avec beaucoup de questions au centre des débats: Qui est responsable ? Qui du syndic, des copropriétaires, de l'adjoint au maire, de l'expert n'a pas fait ce qui lui incombait ? Comment le numéro 65 et le 63, son voisin inhabité, propriété d'un office HLM de la ville, se sont-ils écroulés subitement ?