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Moins d'or, plus d'alliage, du petit 9 carats ou des bijoux ajourés... Le casse-tête des joailleries "accessibles" comme Histoire d’Or pour continuer à vendre face aux prix qui explosent

Gas Bijoux

Gas Bijoux - Gas Bijoux

Le cours de l’or, porté par les incertitudes économiques et la frilosité des marchés, atteint des sommets historiques. À 4.000 dollars l’once, le métal précieux n’a jamais pesé aussi lourd dans les comptes des joailliers. Si les grandes maisons de luxe disposent de marges confortables pour absorber le choc, les marques dites "accessibles" comme Histoire d’Or, Pandora ou Gas Bijoux doivent redoubler d’inventivité pour maintenir leur promesse: offrir de “vrais bijoux”, à des tarifs raisonnables.

Dans un contexte économique tendu où l’or s’envole à plus de 4.000 dollars l’once, les marques de joaillerie doivent composer avec la flambée du métal roi. Si les grandes maisons du luxe disposent de marges confortables pour absorber le choc, les acteurs dits "accessibles", comme Histoire d’Or, Pandora ou Gas Bijoux, doivent faire preuve d’agilité pour préserver leur promesse d’élégance à prix mesuré.

Le casse-tête de la joaillerie “fantaisie"

En 2025, le prix de l’or a bondi de plus de 50%. Une envolée spectaculaire nourrie par plusieurs facteurs: la baisse des taux d’intérêt, la faiblesse du dollar et l’incertitude géopolitique, qui ont propulsé le précieux métal jaune au rang d’actif refuge ultime. Selon Goldman Sachs, l’or est en passe d’enregistrer sa troisième année consécutive de gains à deux chiffres. UBS évoque même un doublement des achats nets des banques centrales, soucieuses de diversifier leurs réserves dans un contexte de défiance vis-à-vis du dollar.

"Il y a des incertitudes sur l'évolution des taux d'intérêt, des problèmes politiques, la question des droits de douane... Les acteurs du marché commencent à se couvrir massivement et à reconnaître que l'or est la véritable valeur refuge", a expliqué à l'AFP Peter Cardillo, analyste de Spartan Capital Securities.

Cette ruée vers l’or fait trembler les ateliers de bijouterie. Pour les marques dites "accessibles", qui veulent proposer des pièces à des prix en dessous de ceux des grandes maisons, la situation devient périlleuse. Les coûts de production explosent, et les marges se contractent.

Histoire d'Or
Histoire d'Or © Histoire d'Or

Leurs noms? Gas Bijoux, Histoire d’Or ou encore Pandora. Ces griffes vivent avec une contrainte double: elles doivent maîtriser les coûts tout en restant synonymes de "vrai bijou". Pour Histoire d’Or, qui écoule des milliers de références à l’année et mise sur des designs toujours très tendances, le modèle repose sur le volume: importer en gros, négocier serré et amortir les hausses sur la masse.

Pandora
Pandora © Pandora

Pandora, autre géant du segment accessible (plus de 100 millions de bijoux vendu par an) annonçait, en 2024, passer à 100% d’or et d’argent recyclés dans sa production. Une décision stratégique, autant qu’un argument de marque. Officiellement, ce virage s’inscrit dans une politique environnementale stricte, officieusement, il permet aussi de sécuriser un approvisionnement moins soumis à la spéculation mondiale.

Cependant, cette mutation n’a pas suffi à épargner Pandora des turbulences: dans son deuxième rapport trimestriel publié en août, la maison reconnaît une baisse de marge de 80 points de base liée à la hausse du prix des métaux précieux. Mais elle résiste mieux que ses concurrentes.

Gas Bijoux: s'adapter pour mieux résister

Pour Gas Bijoux, maison marseillaise fondée dans les années 1960, l’heure est à l’équilibrisme, mais toujours contrôlé.

"Nous ne travaillons pas l’or massif, mais cette envolée nous impacte directement à travers nos procédés de dorure à l’or fin", confie Olivier Gas, président directeur génréral de la griffe. Mais plutôt que de céder à la spirale inflationniste, la maison choisit la fidélité à son ADN: aucune augmentation tarifaire n’est prévue en 2025.

Gas Bijoux
Gas Bijoux © Gas Bijoux

"Nos marges diminuent, c’est un fait, mais nous restons une société agile, avec une production locale basée à Marseille. Nous préférons miser sur la création, l’innovation et la diversité des matières: émail, osier, nacre, résine ou encore des bijoux ajourés qui connaissent un grand succès."

"Dans la bijouterie fantaisie, notre force, c’est le mélange: moins d’or, plus d’alternatives. C’est plus complexe techniquement, mais essentiel", ajoute t-il.

L’or 9 carats, l’alternative salvatrice?

"Les Français ont toujours été de grands consommateurs d’or, et ce métal est plus que jamais une valeur refuge", souligne Sandrine Marcot, présidente déléguée de l’Union de la Bijouterie et de l’Horlogerie (UBH).

"Notre secteur demeure résilient, même si les bijoutiers ressentent une vraie baisse du trafic et des ventes."

Alors, pour limiter la casse, les détaillants diversifient leurs sources d’approvisionnement ou misent sur des alliages plus légers.

"On observe une évolution vers davantage de bijoux en 9 ou 14 carats, qui offrent une alternative plus abordable", explique-t-elle.

L’or 9 carats (375/1000ème) est le plus accessible des alliages. Il ne contient que 37,5% d’or pur, le reste étant composé de métaux comme l’argent, le cuivre ou le zinc.

Un compromis entre éclat, durabilité et prix. Mais pour Sandrine Marcot, l’enjeu dépasse la matière première: "Les enseignes accessibles doivent aussi miser sur le service, replacer le client au cœur de la stratégie et continuer à valoriser l’émotion que véhicule le bijou."

Un achat réfléchi, voire reporté

Comment les classes moyennes et modestes, cibles naturelles des créateur accessibles, peuvent-elles continuer à s'offrir de l’or?

Gas Bijoux
Gas Bijoux © Gas Bijoux

Le symbole du bijou doré, autrefois perçu comme un petit luxe possible, devient désormais un achat réfléchi, voire reporté. En effet, les enseignes constatent un allongement du cycle d’achat et un glissement vers les bijoux "demi-fins" – ces pièces plaquées or sur argent sterling, très en vogue chez la GenZ. La cofondatrice de BaubleBar, marque spécialisée dans la joaillerie fine, Daniella Yacobovsky, explique à CNBC:

"Nous avons constaté un regain d'intérêt considérable pour les bijoux demi-fins. Je pense qu'ils offrent aux consommateurs une alternative vraiment fantastique à l'or massif. Vous obtenez une qualité vraiment exceptionnelle, similaire à celle de l'or mais à un prix inférieur."

Le luxe amortit, mais n’ignore pas

Dans les salons feutrés de Genève ou de la place Vendôme, la hausse du cours de l’or ne provoque pas la même panique. Les grandes maisons disposent de marges suffisamment confortables pour amortir le choc, et de clients moins sensibles à quelques pourcents supplémentaires. Mais cela ne veut pas dire qu’elles ne réagissent pas.

Cartier
Cartier © Cartier

Selon un rapport récent de Bank of America, les marges de Richemont – propriétaire de Cartier et Van Cleef & Arpels – sont “sous pression” au premier semestre 2025. L’impact combiné de la hausse du métal et des taux de change pourrait retrancher 4 points de marge brute. Les maisons ont donc recours à des hausses ciblées: +5% chez Van Cleef en avril, et probablement la même chose pour Cartier avant la fin de l’année. Ces ajustements, qui restent raisonnables, s’accompagnent également d’un renforcement du discours de marque: rareté, artisanat, savoir-faire.

A noter également que le luxe joue sur un autre levier: celui de la temporalité. Le cycle de création d’un bijou de haute joaillerie s’étend sur plusieurs années (il faut en moyenne trois ans pour qu'un artisan réalise une pièce d'exception) et l’impact des fluctuations se lisse dans le temps.

De plus, l’or utilisé est souvent recyclé, ou issu d’alliages maîtrisés. Chez Chopard, pionnier de l’or éthique certifié Fairmined, cette dimension est devenue centrale. Certes, la hausse des matières premières pèse: un impact négatif estimé à 290 points de base d’ici 2026, selon les analystes, mais loin d’affaiblir ces marques, elle renforce leur discours sur la valeur et la durabilité.

Le contraste n’a jamais été aussi fort. D’un côté, les maisons de luxe transforment la contrainte en storytelling, de l’autre, les enseignes accessibles se battent pour préserver leur ADN tout en absorbant la hausse d’un métal devenu presque spéculatif. Certaines trouveront leur salut dans l’innovation comme le recyclage, les matériaux hybrides ou les nouvelles gammes, quand d’autres devront repenser leur modèle. Une chose est sûre: l’or n’a jamais autant pesé dans la balance.

Juliette Weiss