Les rentiers prennent plus que jamais le pouvoir: les Français vont hériter de 9.000 milliards d'euros en 15 ans (le plus grand transfert de l'Histoire)

Jérôme Fourquet, directeur du département Opinion et stratégies d'entreprise de l'Ifop, le 28 mars 2019. - MARTIN BUREAU / AFP
La France est à l'aube du plus grand transfert de richesses de son histoire. Dans les quinze prochaines années, 9.000 milliards d'euros d'ici 15 ans vont être transmis par les générations les plus âgées à leurs enfants et petits-enfants.
Ce mouvement était qualifié de "grande transmission", dans une note publiée par la Fondation Jean Jaurès en 2024. Or, cette richesse est particulièrement concentrée. 10% des ménages détiennent 55% du patrimoine total des Français, selon des données de la Banque de France.
C'est sur ces grandes fortunes que se sont penchés Jérôme Fourquet et Marie Gariazzo, respectivement directeur du département Opinion de l'Ifop et directrice de l'Observatoire société et consommation (ObSoCo), dans une étude également publiée par la Fondation Jean Jaurès, un cercle de réflexion historiquement proche du Parti socialiste, ce jeudi 4 septembre.
La pierre remplace la machine
Ces derniers observent d'abord une permanence au sommet la distribution des richesses. "Sur l’ensemble des 500 noms figurant dans ce palmarès Challenges, la proportion d’héritiers s’établit à 43%, et elle est encore plus marquée si l’on se concentre sur le top 100, qui est composé à 60% d’héritiers", écrivent-ils, même si la source de leur richesse tend à évoluer.
"La pierre a remplacé la machine comme source principale de création de valeur, et donc aussi comme ressort d’édification des grandes fortunes contemporaines", observent les auteurs.
Jérôme Fourquet et Marie Gariazzo relèvent notamment une raréfaction des industriels parmi les 500 premières fortunes françaises, passant de 33% en 1998 à seulement 14% en 2024. Au contraire, le poids des acteurs du secteur de l'immobilier et de l'hôtellerie a grimpé de 3% à 20% sur la même période.
"En ce sens, on peut parler du retour d’un capitalisme rentier, à l’instar de ce que connut la France au XIXe et au début du XXe siècle, quand les patrimoines d’une partie des familles fortunées s’investissaient massivement dans la pierre", indiquent Jérôme Fourquet et Marie Gariazzo, respectivement directeur du département Opinion de l'Ifop et directrice de l'Observatoire société et consommation (ObSoCo).
Un mouvement porté par les niches fiscales
Selon eux, l'explication est claire: la valeur de l'immobilier a "augmenté deux fois plus vite que le coût de la vie et 1,7 fois plus vite que le revenu disponible" au cours des quarante dernières années. La hausse a été encore plus marquée dans certaines zones géographiques spécifiques, en particulier à Paris et dans les stations balnéaires ou de montagne, même si ce sont les portefeuilles d'actions qui offrent les rendements les plus importants.
Or, comme l'ont déjà montré des études de l'Insee, le patrimoine immobilier est très concentré en France.
"À Paris, les 3 % de propriétaires d’au moins cinq biens locatifs possèdent 58 % de l’ensemble des biens en location, cette proportion étant encore plus élevée dans les arrondissements centraux, les plus cotés et les plus prisés", notent Jérôme Fourquet et Marie Gariazzo.
Les auteurs insistent particulièrement sur le rôle des avantages fiscaux dans cette dynamique. "Une partie de ces portefeuilles immobiliers se sont créés grâce à toute une série d’avantageux dispositifs fiscaux que, depuis quarante ans, l’État a créés et déployés sans interruption pour inciter à l’achat de logements locatifs", indiquent-ils, à propos des dispositifs Méhaignerie (1984-1997) ou Pinel (2014-2024).
Si certaines de ces niches fiscales ont pu profiter aux classes moyennes, "69% des investisseurs dans le dispositif Pinel appartenaient aux 10% des ménages les plus riches", rappelle cette note de la Fondation Jean Jaurès, en citant un rapport de la Cour des comptes qui évaluait à 7,3 milliards d'euros les déductions fiscales accordées en dix ans.
Des transmissions dopées par les exonérations
Jérôme Fourquet et Marie Gariazzo insistent aussi sur le poids des niches fiscales dans la transmission des plus gros patrimoines, citant notamment le "'don familial Sarkozy' qui peut s’ajouter aux donations 'classiques' de 100 000 euros que les individus peuvent effectuer tous les quinze ans pour leurs descendants de manière défiscalisée" ou le pacte Dutreil.
"L’évolution du cadre juridique et de la fiscalité ces dernières années a été très favorable à la transmission des gros patrimoines", tranchent-ils.
Ce constat avait été déjà établi dans une note publiée fin 2021 par le Conseil d'analyse économique (CAE), un centre de recherche rattaché à Matignon. "Le système de taxation successoral français est mité par des dispositifs d'exonération ou d'exemption dont les justifications économiques sont faibles", montrait ce centre de recherche rattaché aux services du Premier ministre.
Le CAE ajoutait que ces niches fiscales réduisent "très significativement la progressivité de l'impôt au bénéfice des plus grandes transmissions", au moment où "l’héritage redevient un facteur déterminant dans la constitution du patrimoine dans les pays industrialisés".
Malgré ces niches et autres exonérations, la France est un des pays qui taxent le plus les transmissions. Les droits de mutations à titre gratuit (fiscalité sur les donations et héritages) représentent 1,4% de l’ensemble des recettes fiscales selon les données de l'OCDE.
Alors que les Français restent majoritairement attachés à la progressivité de l'impôt, "l’augmentation de la fiscalité sur le patrimoine hérité fait l’objet d’un net refus" dans les enquêtes d'opinion, remarquent les auteurs de la note de la Fondation Jean Jaurès.
"Malgré les phénomènes de concentration patrimoniale et les fortes disparités observées, l’attachement aux règles fiscales s’appliquant actuellement à l’héritage demeure très élevé au sein de toutes les catégories de population... comme si le sujet était épidermique", ajoutent Jérôme Fourquet et Marie Gariazzo. Un paradoxe français à l'heure où l'héritage n'a jamais eu autant de poids.