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La France est-elle redevenue une "société d’héritage"?

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Dénonçant la société de "rente et d'héritage" dans laquelle le travail ne permet plus à lui seul d'augmenter significativement son niveau de vie, une chronique parue cette semaine dans Les Echos a remis le sujet brûlant des droits de succession sur la table.

Faut-il davantage taxer l’héritage? Aussi sensible soit-elle, cette question revient régulièrement dans le débat public. En 2022, elle s’était invitée par surprise lors de la campagne présidentielle, les candidats à la course à l’Elysée rivalisant de propositions pour réformer la succession.

Un an plus tard, le président réélu Emmanuel Macron qui s’était plutôt prononcé pour un allègement des droits de succession a repoussé sa proposition à plus tard. Sans doute parce que jugée incompatible avec le rétablissement des finances publiques érigé en priorité par Bercy.

Droits de succession : qui est concerné ? - 24/01
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Il y a quelques jours, c’est une chronique parue dans Les Echos qui a relancé le débat. Son auteur, Antoine Foucher, président de Quintet Conseil et ancien directeur de cabinet de la ministre du Travail Muriel Pénicaud, y décrit une société française "de rente et d’héritage" dans laquelle "la majorité de ce que les Français possèdent est due au hasard de leur naissance, et non à leur mérite individuel".

Pour appuyer ses propos, Antoine Foucher renvoie aux travaux du Conseil d’analyse économique (CAE) qui a rendu un rapport intitulé "Repenser l’héritage" fin 2021. Chargé de conseiller le Premier ministre, ce groupe de réflexion composé d’économistes reconnus y dresse peu ou prou le même constat: "Après un reflux des inégalités de patrimoine et une forte mobilité économique et sociale durant la seconde moitié du XXe siècle, l’héritage redevient un facteur déterminant dans la constitution du patrimoine dans les pays industrialisés", écrit-il.

Un patrimoine de plus en plus concentré

Les experts du CAE sont formels: "depuis une trentaine d’années", la société sans héritage de la seconde partie du XXe siècle "disparaît à grande vitesse" en France. "L’héritage est de retour", résument-ils. Les chiffres en témoignent: alors que le patrimoine représentait 300% du revenu national en 1970, il pèse aujourd’hui 600%. Et la part de la fortune héritée représente désormais 60% du patrimoine total, contre 35% en moyenne il y a 50 ans. Le tout, sachant que la somme des transmissions qui représentait moins de 5% du revenu national en 1950 dépasse aujourd’hui les 15%.

"On est revenu où on en était dans les années 1920", détaillait sur BFM Business Philippe Martin, président délégué du Conseil d’analyse économique.

Cette situation "porte le risque d’un dérèglement profond de l’égalité des chances" car "le patrimoine hérité est en effet plus inégalement réparti que les autres formes de transmission qui peuvent s’opérer entre générations", poursuit le groupe de réflexion.

D’ailleurs, la concentration du patrimoine a clairement augmenté ces dernières années. En France, les 1% les plus fortunés pèsent plus de 25% du patrimoine total, contre 15% en 1985. Au cours de leur vie, 50% des Français auront hérité de moins de 70.000 de patrimoine, alors que 10% des Français hériteront de plus de 500.000 euros. Les 1% d’héritiers les mieux lotis d’une génération recevront même 4,2 millions d’euros en moyenne et les 0,1% environ 13 millions d’euros.

"L’héritage moyen du top 0,1 % représente donc environ 180 fois l’héritage médian", relève le CAE. Et les 1% d’héritiers les mieux lotis peuvent "désormais obtenir, par une simple vie de rentier, un niveau de vie supérieur à celui obtenu" par les 1% des "travailleurs" les mieux rémunérés. "Pour être riche aujourd'hui (...), il est absolument fondamental d'avoir hérité", expliquait encore Philippe Martin.

Quelle réforme?

Même si la France affiche déjà "des niveaux de taxation successorale élevés par rapport à ses voisins", selon le CAE, Antoine Foucher suggère de "se rapprocher de l’égalité des chances en augmentant les droits de succession sur les héritages les plus importants (par exemple le dernier décile)".

De son côté, le Conseil d’analyse économique plaide pour une refonte totale du système et suggère notamment de taxer en une seule fois le total des transmissions. Aujourd’hui, chaque opération est en effet taxée séparément, ce qui "offre la possibilité de bénéficier plusieurs fois de certains abattements", en particulier pour les plus aisés.

Autre proposition formulée par le collège présidé par Philippe Martin: traiter de la même manière les héritages en lignes directes (entre ascendants ou descendants) et les héritages en lignes indirectes. Enfin, si l’impôt sur les successions est "en principe progressif", il regrette qu’il soit "miné par des exonérations et des exemptions (assurance-vie, biens professionnels, donations en nue-propriété, etc.), qui favorisent les plus grandes transmissions". A tel point que "40% du patrimoine transmis échappe au flux successoral". Pour y remédier, le CAE propose ainsi de "réduire voire éliminer les principales exemptions ou exonérations dont la justification économique est limitée".

"Ce qu’on propose, c’est une réforme qui permet de rendre le système plus égalitaire, de taxer davantage tout en haut de la distribution en réduisant les niches fiscales", résumait Philippe Martin. Reste à savoir si les Français y seraient favorables. D’autant qu’un sondage OpinionWay pour Les Echos paru en mai dernier révélait que 73% de la population juge déjà les droits de succession trop élevés.

https://twitter.com/paul_louis_ Paul Louis Journaliste BFM Eco