Le Sénat s'oppose à la résiliation à tout moment pour l'assurance d'un prêt immobilier

Les lois libéralisant l'assurance emprunteur ont du mal à passer. On se rappelle de l'adoption de l'amendement Bourquin en vigueur depuis 2018 sur la résiliation annuelle du contrat d'assurance. Un amendement qui avait, lui aussi, connu son lot de rebondissements avant d'être finalement adopté. Pour la résiliation infra-annuelle, c'est-à-dire, le changement d'assurance à tout moment, même combat puisque la proposition de loi portée par la députée Patricia Lemoine (groupe Agir) se heurte aussi à une forte opposition. Le Sénat a retoqué le coeur du texte, la possibilité de changer d'assurance emprunteur, sans frais, à tout moment, et non plus seulement à la date anniversaire (amendement Bourquin).
Pourtant, la proposition de loi était en bonne voie après le feu vert de l'Assemblée nationale en novembre dernier et avec le soutien du ministre de l'Economie, Bruno Le Maire. C'était sans compter sur un Sénat à majorité de droite qui s'est farouchement opposé en première lecture à la résiliation à tout moment, en amputant le texte de cette possibilité de faire des économies importantes sur leur contrat d'assurance. Les sénateurs ont dans le même temps proposé d'autres dispositions pour ne pas déséquilibrer un marché monopolisé par les banques.
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Rétropédalage au Sénat
Le Sénat à majorité de droite a donc adopté mercredi soir en première lecture la réforme de l'assurance emprunteur amputée de sa mesure phare, la possibilité d'en changer à tout moment, mais l'a étoffée de nouvelles dispositions sur le volet santé. Avec ces importantes modifications et ce rétropédalage, la proposition de loi "pour un accès plus juste, plus simple et plus transparent au marché de l'assurance emprunteur" a été votée à l'unanimité des suffrages exprimés. LR, centristes, PS et Indépendants ont voté pour. Les groupes RDPI à majorité En Marche, CRCE à majorité communiste, RDSE à majorité radicale et le groupe écologiste se sont abstenus.
L'objectif de ce texte étant d'introduire davantage de concurrence dans le secteur bancaire, en position de force dans ce domaine, afin de faire baisser les coûts pour le consommateur. Un mauvais signal pour le pouvoir d'achat des particuliers, qui est pourtant au coeur de la campagne présidentielle.
"Manque de transapence"
Les réactions sont nombreuses et révélatrices du clivage entre les assureurs indépendants, les banques et les politiques. La Fédération bancaire française (FBF) a salué ce choix qui fait grincer les dents des associations de consommateurs et des assureurs. "Je suis extrêmement déçu", a réagi Eric Maumy, président du groupe April et membre de l'Association pour la promotion de la concurrence en assurance des emprunteurs.
"La résiliation à tout moment est la seule mesure efficace pour permettre aux 7 millions de Français (ayant un crédit en cours, NDLR), notamment les plus fragiles, de faire jouer la concurrence et de réaliser des économies substantielles", estime Eric Maumy.
"Profitant de ce manque de transparence, les banques continuent de proposer des contrats plus chers, et elles n’acceptent de s’aligner sur les prix de la concurrence qu’avec leurs clients les plus avertis, notamment les cadres et les plus jeunes", explique l’UFC-Que Choisir qui avait exhorté les sénateurs à rendre la résiliation infra-annuelle possible. Un texte qui selon l'assiociation de consommateurs permettrait "de contraindre les banques à revoir drastiquement à la baisse leurs tarifs en leur imposant d’entériner le changement d’assurance en cas d’équivalence de garanties".
Dans l'hémicycle, la discussion a été vive. "Pourquoi avoir vidé de sa substance cette avancée?", a interrogé le ministre du Tourisme Jean-Baptiste Lemoyne, vantant "une mesure qui ne coûterait pas un euro à l'Etat". "C'est du pouvoir d'achat, et en plus on ne crame pas la caisse", a-t-il souligné.
"La simplicité, le bon sens, c'est la résiliation à tout moment", a appuyé Emmanuel Capus (Indépendants), tandis que l'écologiste Daniel Salmon laissait entendre que la position de la droite sénatoriale répondait "au lobby bancaire" qui avait précisé au Parisien ne pas vouloir "enquiquiner" le gouvernement en supprimant la résiliation à tout moment de la proposition de loi. Fustigeant "fausses informations" et "caricatures", le rapporteur du texte au Sénat Daniel Gremillet (LR) a affirmé que "la concurrence existe bien déjà sur ce marché et fonctionne bien". Ce dernier estime, comme les banques, que le nouveau dispositif ne créerait pas de nouvelles économies, mais risquerait de pénaliser les publics âgés et fragiles.
"Lors de cette séance, les partisans de la mesure ont vainement tenté de la défendre grâce à des chiffres évocateurs et des arguments très solides. Comment ne peut-on pas voir l'intérêt d'un tel dispositif? Comment, après cela, ne pas croire qu'un lobbying exerce une pression sur certains? Car oui, cela fait trop longtemps que ça dure et trop longtemps que le feuilleton de l'assurance emprunteur connaît des retournements de situation de dernière minute dès qu'il s'agit de toucher au pactole des établissements prêteurs...", explique Astrid Cousin, porte parole de Magnolia.fr, comparateur en assurance de prêt.
De nouvelles dispositions
En compensation, les sénateurs proposent de supprimer le questionnaire médical pour les prêts de moins de 350.000 euros arrivant à leur terme avant 65 ans (pour rappel, les banques financent généralement jusqu'à 75 ans).
La chambre haute a encore adopté un amendement visant à inscrire directement dans la loi la réduction du délai du "droit à l'oubli" de dix à cinq ans pour les cancers, à étendre ce "droit à l'oubli" aux pathologies chroniques et à supprimer le plafond d'emprunt pour les personnes bénéficiant de la convention AERAS (s'Assurer et Emprunter avec un Risque Aggravé de Santé). Ce dernier est plafonné à 320.000 euros. Le texte adopté par l'Assemblée nationale appelait seulement les signataires de la convention AERAS à travailler sur ces évolutions.
Députés et sénateurs vont maintenant tenter de trouver un accord sur une version commune du texte en commission mixte paritaire. S'ils échouent, c'est l'Assemblée nationale qui aura le dernier mot.