Macron, Sarkozy, Chirac... Sous quel président a-t-on construit le plus de logements depuis 20 ans?

Alors que l'élection présidentielle approche à grands pas, le bilan du président sortant Emmanuel Macron en matière de logement est scruté à la loupe. Lors d'un débat avec Christophe Robert, directeur délégué général de la Fondation Abbé Pierre, l'actuel locataire de l'Elysée défendait son bilan début février. Il estimait notamment qu'il y avait eu plus de constructions sous son quiquennat que lors du précédent. Qu'en est-il si on regarde les chiffres?
Si le nombre de logements commencés a effectivement dépassé le précédent quinquennat sous Emmanuel Macron, il reste bien en deçà par rapport au dernier quinquennat de Jacques Chirac ou à celui de Nicolas Sarkozy.
Certes la hausse des permis de construire en fin d'année 2021 a permis de renouer avec le niveau d'avant crise en décembre. Mais sur l'ensemble du mandat, le nombre de logements construits est très loin du choc d'offre promis par Emmanuel Macron avant son élection en 2017, même s'il est évident que le secteur de la construction a dû composer avec la crise sanitaire.
BFM Immo a regardé le nombre cumulé de logements autorisés et de logements commencés pendant chacun des quatre derniers quinquennats ( chiffres issus des données du Ministère de la Transition écologique*. On notera que pour Emmanuel Macron, les données s'arrêtent en décembre dernier. Il manque donc quatre mois, de janvier à avril 2022).
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Sous Emmanuel Macron, 2,12 millions de logements ont été autorisés pour 1,82 million de chantiers lancés. En prenant des projections pour compléter les quatre mois manquants, l'exécutif revendique 2,2 millions de logements autorisés et 2 millions de logements commencés, comme le rapportent Les Echos.
Ce sera quoi qu'il arrive nettement inférieur au quinquennat de Jacques Chirac. De 2002 à 2007, ce sont 2,5 millions de logements qui avaient en effet été autorisés et 2,1 millions qui avaient été commencés. Sous Nicolas Sarkozy (2007-2012) ce sont 2,4 millions qui ont été autorisés et 2 millions qui ont été construits. Il y avait donc déjà eu une baisse de production entre ces deux présidents... Puis arrive François Hollande avec une production de 1,803 million logements pour 2,15 millions autorisés. Le nombre de chantiers est donc bien légèrement reparti à la hausse avec Emmanuel Macron.
Si on fait une moyenne sur l'ensemble des différents mandats, cela revient à 424.760 logements construits par an sous Chirac, 407.320 sous Sarkozy, 360.780 sous Hollande et 364.300 sous Macron (ou de 400.000 si on se fie aux projections du gouvernement pour les mois de janvier à avril).
Cela fait donc deux décennies que la France n'aura pas construit les 500.000 logements annuels promis régulièrement lors des campagnes électorales. Même sur une seule année, le plus haut niveau de construction ayant été de 493.000 logements commencés en 2007, année de l'élection de Nicolas Sarkozy succédant à Jacques Chirac. Et en 2021, nous sommes tombés à 386.700 chantiers lancés.
Moins de logements sociaux que prévu
Du côté du logement social plus spécifiquement, le nombre de chantiers est également en repli depuis plusieurs années, selon les données issues du bilan du ministère de la Cohésion des territoires publiées par la fondation Abbé Pierre.
"De l'ordre de 40.000 à 50.000 au début des années 2000, ils s'établissent entre 125.000 et 150.000 ces dernières années. En fonction des enveloppes et des conditions locales de production, les opérateurs, et au premier plan les opérateurs HLM (80% des décisions de financement), déposent leurs demandes de financement qu'ils traduisent les années suivantes par des réalisations de logements sociaux. Le nombre d'agréments est en baisse depuis 2016 ; il est particulièrement bas en 2020, année marquée par un contexte économique et électoral particulier", souligne l'Union nationale des fédérations d'organismes HLM.
Face à la fondation Abbé Pierre, Emmanuel Macron estime à 86% l'atteinte de son objectif avec le financement de 104.800 logements sociaux en 2021, après 87.500 en 2020. "Est-ce que j'en suis heureux? Non, il faut arriver à 100%. Mais je note que les grandes métropoles délégataires ont fait 67% de leurs objectifs. On a un sujet de gouvernance, de simplification pour aller plus loin pour construire davantage", a expliqué Emmanuel Macron depuis l'Elysée.
Des millions de mal-logés
La situation est d'autant plus problématique que la population française continue de progresser. La France comptait 67,8 millions d'habitants au 1er janvier 2022, contre 61,4 millions en 2002. Soit environ 6,4 millions de personnes en plus. Certes, sur la période, pratiquement 8 millions de logements auront été construits. Ce qui pourrait sembler suffisant. Mais c'est sans prendre en compte la progression des besoins et la baisse continue du nombre de personnes par ménage, avec les décohabitations (par exemple avec des divorces) et le vieillissement de la population (davantage de personnes vivant seules). Il faut également souligner la prise en compte de la dégradation d'une partie du parc existant.
En attendant, les prix explosent année après année, en particulier dans toutes les grandes villes. Si les taux bas pèsent indéniablement dans cette tendance, cela correspond aussi à une forte pression de la demande face une offre trop limitée.
La Fondation Abbé Pierre alerte d'ailleurs chaque année sur le nombre de personnes mal-logées en France. Alors qu'elle recensait 4 millions de personnes sans abris, sans logement ou mal logées en fin de mandat pour François Hollande, elle en dénombre désormais 4,1 millions. L'organisme pointe notamment l'envolée du nombre de personnes sans-abris depuis 10 ans. Pour rappel, si l'on compte aujourd'hui 300.000 personnes sans domicile, on en comptait 100.000 environ en 2007 (12e rapport de la fondation).
Une "bombe sociale à venir"
Dans le même temps, le nombre de logements vacants augmente paradoxalement en France et s'élève à 8,3%, soit près de 3 millions de logements, contre 1,85 million en 1982. Selon l'Insee, l'augmentation du nombre de logements vacants (un logement inoccupé pour différentes raisons : mauvais état, succession, mise en vente ou location, départ en maison de retraite...), "augmente de façon marquée depuis 2006, à un rythme supérieur à celui de l’ensemble du parc, alors que leur nombre augmentait moins vite, voire diminuait, auparavant. Néanmoins, cette hausse s’atténue sur les dernières années".
"Le logement est au coeur de nos vies. Il est aux marges de la politique. La campagne présidentielle de 2022 ne se gagnera pas sur le logement", écrit l'économiste Robin Rivaton pour le think thank Real Estech dans un rapport intitulé : "le logement, bombe sociale à venir". Face au manque de constructions, c'est une crise sociale qui se dessine. Ce rapport liste d'ailleurs plusieurs propositions pour "rénover la politique publique du logement" et en finir avec "l'emplilement de micro-dispositifs qui s'accumulent sans résourdre nos problèmes".
"Le logement neuf vit une crise structurelle qui engendre une grave pénurie d’offre aux lourdes conséquences pour les nouvelles générations", estime de son côté Pascal Boulanger, président de la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI).
Le président de la FPI poursuit : "nous vivons un nouveau paradoxe : alors que la crise s’installe durablement, nous assistons parallèlement à un empilement de contraintes administratives et à une surenchère normative, alors même que nos logements neufs sont déjà les plus performants d’Europe (RE2020) : en la matière, le mieux est l’ennemi du bien car tout cela à un coût et nous redoutons une désolvabilisation de nos acquéreurs". Les prix du neuf pourraient en effet grimper en raison de la nouvelle réglementation environnementale.
"La France doit prendre très au sérieux cette crise entretenue par les pouvoirs publics. Cette crise est accentuée par le rejet d’une partie de la population, bien logée, qui refuse que l’on construise à côté de chez elle", ajoute Pascal Boulanger.
La frilosité de certains maires est également pointée du doigts. En période d'éléctions municipales, le nombre de permis de construire délivrés est en chute libre, entraînant un retard dans la production de logements. C'est particulièrement le cas dans certaines communes, comme l'avait montré une enquête de BFM Business lors des dernières municipales.
"Lorsque des blocages locaux existent et que les maires, pour diverses raisons (idéologiques ou refus des habitants de voir des grues), refusent toute construction nouvelle alors que les besoins existent, nous proposons de faire jouer au niveau du préfet le rôle de médiateur de l’acte de construire (sur le modèle du médiateur des entreprises)", propose la FPI. Une piste pour le prochain locataire de l'Elysée?
*Calculs basés sur la production de logements commencés et autorisés mensuellement entre mai 2002 et avril 2007 pour le quinquennat de Jacques Chirac, entre mai 2007 et avril 2012 pour le quinquennat de Nicolas Sarkozy, entre mai 2012 et avril 2017 pour le quinquennat de François Hollande et entre mai 2017 et décembre 2021 pour le quinquennat d'Emmanuel Macron (4 mois de production manquants pour comparaison).