"Nous nous noyions lentement": des rescapés du naufrage dans la Manche accusent les sauveteurs de passivité

"C'était l'aube, les gens n'en pouvaient plus, et ils ont tous abandonné et lâché prise. Il y avait des familles, et trois ou quatre enfants". Mohammed est un jeune berger de 21 ans, qui a quitté le Kurdistan irakien il y a plus d'un mois. Il a atteint Calais en passant par la Biélorussie. Le 24 novembre, il était à bord de l'embarcation qui a fait naufrage dans la Manche, entraînant la mort de 27 personnes.
Son témoignage, recueilli par la télévision kurde Rudaw TV, jette une lumière crue sur les derniers instants vécus par les personnes ayant tenté de rejoindre l'Angleterre ce jour. Mais il soulève également une interrogation. Ce drame aurait-il pu être évité si les garde-côtes français comme britanniques avaient réagi plus tôt et coopéré?
Renvoi de responsabilité des deux côtés de la Manche
Le naufrage a commencé quand "l'eau a commencé à entrer par l'arrière, à côté du moteur" raconte Mohammed. "Nous étions en train d'écoper l'eau qui inondait le bateau, le côté droit perdait de l'air. Certaines personnes pompaient et d'autres vidaient l'eau", détaille le jeune homme.
Mais la pompe cesse de fonctionner. "Après un long moment, nous avons appelé les garde-côtes français, et leur avons dit: 'aidez-nous!'", assure Mohammed.
"Nous leur avons envoyé notre localisation", explique-t-il.
Ce à quoi les garde-côtes français auraient répondu "vous êtes dans les eaux britanniques", débouchant sur leur inaction. Réponse similaire du côté britannique. "Nous avons appelé la Grande-Bretagne, et ils nous ont dit d'appeler les garde-côtes français".
Mais pour Mohammed, "c'est la Grande-Bretagne qui aurait dû venir nous aider, car nous étions dans les eaux britanniques. Mais elle n'a rien fait pour nous". Ce renvoi de responsabilité des deux côtés de la Manche aurait-il retardé l'arrivée des secours?
"Les Britanniques nous ont entendu, nous avons appelé deux fois, pas une fois", abonde Omar, un Somalien rescapé comme Mohammed du naufrage du 24 novembre. Interrogés, les garde-côtes britanniques "confirment avoir reçu des appels, mais déclarent avoir expliqué que les migrants se trouvaient dans les eaux territoriales françaises", précise Ulysse Gosset, éditorialiste politique internationale sur BFMTV.
De son côté, la Préfecture maritime a formellement démenti avoir reçu un quelconque appel de cette embarcation, comme elle l'a déclaré à France Bleu Nord.
Des victimes encore à identifier
C'est après ces appels évoqués par Mohammed, mais aussi par Omar, que les passagers ont commencé à se noyer.
"Alors que nous nous noyions lentement, les gens perdaient espoir. C'est là que les vagues nous ont ramenés en France. Le bateau a coulé, et tous les gens se sont retrouvés dans l'eau", témoigne Mohammed.
Avant que la fatigue ne prenne le dessus, et que les demandeurs d'asile lâchent progressivement prise, menant à la noyade de la majorité d'entre eux.
Ce drame, le plus meurtrier dans la Manche depuis le début de la crise migratoire, a relancé les tensions entre la France et le Royaume-Uni, l'Hexagone réclamant de Londres la mise en place d'une route migratoire sûre et légale. Les 27 victimes, elles, n'ont pas toutes pu être identifiées. Une identification rendue plus compliquée encore par le fonctionnement des instituts médico-légaux.