Les proches de Djamel Bendjaballah, tué par un militant d'extrême-droite, demandent à la justice de reconnaître le caractère raciste du meurtre

Une voiture de police sur l'autoroute A1. (photo d'illustration) - Philippe Huguen - AFP
"Ces deux crimes sont identiques". Un mois après l’effroi provoqué par le meurtre de Puget-sur-Argens (Var), les proches de Djamel Bendjaballah, tué l’année dernière à côté de Dunkerque (Nord), ne peuvent s’empêcher de voir des parallèles.
Les proches de Djamel Bendjaballah se réunissent, samedi 28 juin, devant le tribunal de Dunkerque, pour réclamer la requalification en crime raciste du meurtre de Djamel Bendjaballah.
Un parallèle avec le meurtre de Hichem Miraoui
Le 31 mai dernier, Christophe Belgembe, un artisan de 53 ans, a criblé de balles son voisin tunisien Hichem Miraoui. Il a ensuite diffusé des vidéos de revendication virulentes. Un crime qualifié de raciste par la justice.
Neuf mois plus tôt, le 31 août 2024, à Cappelle-la-Grande, Jérôme Decofour, un menuisier de 43 ans, roulait avec sa voiture sur Djamel Bendjaballah sous les yeux de ses propres enfants. La victime avait déposé plainte à deux reprises pour dénoncer le harcèlement raciste auquel se livrait son futur meurtrier.
Depuis, ses sœurs et des associations antiracistes pressent le parquet de Dunkerque pour qu’il retienne la circonstance aggravante de racisme.
Au commencement, une rupture
Depuis son acte en août 2024, Jérôme Decofour a été mis en examen pour "meurtre" simple et écroué. Il est détention provisoire depuis bientôt un an. "Ne laissons pas cette affaire être traitée comme un simple fait divers", s’exclame Nadia Bendjaballah, la sœur de la victime, dans une vidéo diffusée sur le compte Instagram "Justice pour Djamel". Pour elle, "tout montre que c’est un meurtrier motivé par la haine".
Jérôme Decofour a vécu en couple avec Camille (le prénom a été modifié) entre 2005 et 2021. Seize ans de vie commune au cours de laquelle ils ont eu un fils en 2013, une fille en 2017. Seize années au cours desquelles ce menuisier s’est radicalisé à petit feu.
Il avait rejoint, vers 2020, un groupe baptisé "Brigade française patriote", un groupe survivaliste et raciste composé d’une centaine de membres entre le Nord et la Côte d’Azur, comme l’a révélé le média Blast et comme BFMTV a pu le vérifier.
Fondé trois ans plus tôt par un vétéran de la marine, ce groupuscule d’extrême droite prépare ses membres à "l’effondrement à venir de nos sociétés". Jérôme Decofour poussait Camille à aller vivre avec lui en autonomie dans des terres reculées, sans y parvenir. Mais les idées et les fréquentations de son compagnon, qui ne quittait plus son treillis militaire et qui achetait des armes sur Internet, la lassent. Elle finit par rompre en décembre 2021.
Un racisme obsessionnel
Selon l’enquête judiciaire, Decofour ne digérait pas cette rupture qui l’a plongé en dépression. Il conservait un droit de visite de ses enfants un week-end sur deux, mais ne le respectait pas. Il découvre que la mère de ses enfants se mette en couple avec Djamel Bendjaballah en 2022. Il ne le tolère pas. Une humiliation pour ce militant d’extrême droite.
Cette jalousie a pris des proportions inquiétantes, comme l’indique le juge aux affaires familiales dans un rapport du 23 décembre 2022 que BFMTV a pu consulter. Camille le soupçonne de les suivre alors qu’ils vont au cinéma.
Jérôme Decofour l’agonisait d’insultes racistes, le traitant de "sale bougnoule", de " sarrasin". Il pouvait imiter un accent africain stéréotypé lorsqu’il l’avait au téléphone. Il n’hésitait pas à utiliser ses enfants pour transmettre des messages racistes, en leur donnant, par exemple, un saucisson sur lequel était inscrit "Hallal" ou en leur offrant des chocolats en forme de cochon pour Pâques. Un racisme obsessionnel qui transparaît aussi sur le compte Facebook qui lui est attribué, où s’entassent les blagues douteuses sur les "bougnoules" et les références au porc.
Ce climat nauséabond avait poussé Djamel Bendjaballah à déposer plainte à deux reprises.
"Je n’en peux plus de ses provocations incessantes et j’aimerais retrouver ma tranquillité", déclarait-il aux policiers de Dunkerque en novembre 2023.
Il s’inquiétait aussi des armes que possédait son rival. En perquisitionnant sa maison, les enquêteurs du Nord retrouveront des pistolets, des armes longues, douze grenades et deux obus, qui nécessiteront l’intervention des démineurs. Toutes ses plaintes avaient été classées sans suite.
Le mis en cause plaide l'accident
Le 31 août 2024, alors que Djamel Bendjaballah passait la soirée chez sa compagne Camille avec leurs enfants respectifs, Jérôme Decofour insiste pour passer voir sa fille. Celui-ci arrive 30 minutes plus tard à bord de son imposante Chrystler bleu métallique. Djamel Bendjaballah va à sa rencontre. Après une altercation, Jérôme Decofour obtient de passer un moment avec son fils et sa fille. Ces derniers montent à l’avant et l’arrière du véhicule, tandis que Djamel se positionne devant celui-ci, afin d’éviter Jérôme Decofour que ne prenne la fuite avec les filles.
Decofour met alors un premier coup d’accélérateur. Effrayé, Djamel s’écarte et Jérome Decofour part alors se garer sur le parking en face. Puis les enfants finissent par sortir du véhicule et Jérôme Decofour fait soudainement marche arrière, comme pour se donner de l’élan. L’instant d’après, il accélère en direction de Djamel.
Le choc est extrêmement violent. Djamel passe au-dessus de la voiture et s’écrase au sol. Il gît, inanimé, mais Jérôme Decofour n’en a pas fini. Il fait marche arrière et lui roule dessus. Sous les yeux catastrophés de Camille et de leurs enfants, il accélère à nouveau et lui roule dessus une seconde fois. Jérôme Decofour prend d'abord la fuite puis fini par se rendre.
30 ans de réclusion criminelle encourue
En garde à vue le lendemain, Jérôme Decofour assure qu’il "ne l’a pas vu", car au moment d’accélérer, il "tournait la tête à gauche". "Vous n’avez pas vu un corps passer sur votre capot ?", interroge l’enquêteur, dubitatif. "Non. J’entends un gros boom sur le toit, c’est tout ce que je comprends." Questionné sur le fait qu’il l’écrase tout de même à deux reprises par la suite, le suspect explique, de manière confuse, avoir juste "senti la roue glisser". Il plaide l’accident.
Jérôme Decofour ne cessera de se montrer totalement indifférent à l’égard de sa victime, que ce soit en garde à vue, ou plus tard, dans les lettres qu’il adresse à ses proches depuis sa cellule à la maison d’arrêt de Dunkerque, que BFMTV a pu consulter.
"Vous connaissez bien l’amour et l’attention que je porte à ma voiture (…) je ne l’aurais jamais lancée délibérément sur qui que ce soit qui aurait pu l’abîmer", leur écrit-il depuis sa cellule. "Un jour, je sortirai la tête haute et la conscience tranquille", dit-il dans un courrier à ses enfants. À sa fille de 7 ans, qui a tout vu de ses yeux ses yeux, il demande "pardon pour les tristes scènes auxquelles (elle a) assisté, malgré que ce n’est pas moi qui les ai provoqués".
Il n’a, à ce stade, toujours pas été interrogé par la juge d’instruction. Il encourt trente ans de réclusion criminelle. Si la justice retenait la circonstance aggravante de racisme, il risquerait la prison à perpétuité.