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TOUT COMPRENDRE – Délit d'initié: que risque l'ex-patron d'Orpea?

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Le parquet national financier a annoncé une enquête préliminaire du chef de "délit d'initié" contre l'ex-directeur général d'Orpea, groupe coté en bourse mis en cause par un récent livre. Tour d'horizon de ce délit, pas toujours simple à démontrer.

• Qu'est-ce qu'un délit d'initié?

Destiné à protéger les investisseurs en bourse, le délit d'initié est prévu à l'article L465-1 du code monétaire et financier. Il punit sévèrement le fait pour un dirigeant d'entreprise de réaliser une opération boursière en disposant une information privilégiée, c'est-à-dire avant qu'elle ne soit rendue publique.

Par exemple, un dirigeant ne peut pas revendre ses actions s'il est seul à connaître un évènement qui va faire chuter son cours. L'évènement doit d'abord être rendu public. Cette règle, très surveillée par le gendarme de la bourse, permet de ne pas léser les investisseurs qui ne font pas partie des instances dirigeantes et éviter que ces dernières ne s'enrichissent indûment.

En France, les affaires les plus importantes finissent généralement en justice, après enquête du parquet national financier (PNF). On parle alors de délit d'initié, qui implique une intention ou au moins l'intention de commettre ce délit.

De son côté, l'Autorité des marchés financiers (AMF), le gendarme de la bourse, veille au grain et multiplie chaque année les amendes pour des "manquements d'initié". Il s'agit de sanctions pécuniaires hors du circuit judiciaire. L'aspect intentionnel n'est pas nécéssaire: le rapprochement chronologique entre le moment où un dirigeant apprend une information et son exploitation suffit à démontrer le manquement.

Les deux procédures ne pouvant s'additionner, le PNF et l'AMF se partagent les dossiers et doivent se mettre d'accord sur l'action à intenter.

• Pourquoi l'ancien DG d'Orpea est-il visé par une enquête?

Selon le Canard enchaîné, Yves Le Masne a revendu en juillet des actions pour près de 600.000 euros "trois semaines seulement après que la direction d'Orpea a été informée de la parution prochaine du livre" de Victor Castanet "Les fossoyeurs". En clair, le parquet national financier le soupçonne d'avoir cherché à liquider une partie de ses actions avant que le scandale n'éclate et que le cours de bourse d'Orpea ne chute.

• Comment Yves Le Masne se défend-il?

L'ancien patron conteste tout délit d'initié. "Le milieu de l’été est la période à laquelle je vends habituellement des actions, comme le montrent mes déclarations publiées antérieurement" affirme-t-il dans un communiqué transmis à l'AFP.

Effectivement, selon les informations transmises à l'autorité des marchés financiers (AFM) et rendues publiques sur son site, Yves Le Masnes a vendu une partie de ses actions en juin et juillet 2018 mais ce n'était pas le cas en 2019 ni en 2020, où il a choisi d'autres dates.

Aussi, l'ancien DG estime que la publication du livre n'était pas une information déterminante pour le pousser à vendre des actions car ce livre ne créait, selon lui "pas d'inquiétude particulière". Pourtant, le séisme des révélations aura non seulement eu raison de son poste mais aussi du cours de bourse qui a perdu la moitié de sa valeur.

• Comment le parquet national financier va-t-il travailler?

Le PNF aura donc la lourde tâche de déterminer si Yves Le Masne s'est rendu coupable, ou non, de délit d'initié. En clair, s'il a intentionnellement revendu une partie de ses actions après avoir appris l'écriture de ce livre.

"Il faut réunir trois critères pour définir l'infraction" abonde Johann Lissowski, avocat en droit boursier. "L'information doit être précise, susceptible d'avoir une influence sur le cours boursier et ne pas avoir été rendue publique."

"Et la publication d'un livre, ce n'est pas pas un cas habituel" poursuit l'avocat. Généralement, un délit d'initié part d'une information très précise sur l'entreprise. Dans le cas d'Orpea, les enquêteurs devront démontrer que tous les critères sont bien remplis à partir de l'annonce de publication de l'ouvrage.

Que risque Yves Le Masne?

La loi prévoit une peine de 5 ans de prison et de 100 millions d’euros d’amende pour le délit d’initié. L'amende peut aussi être portée jusqu’au décuple du montant de l’avantage retiré du délit et ne peut pas être inférieure au profit tiré de l'infraction. En réalité, le montant de l'amende dépend du profit généré ou de la perte évitée.

Et si la procédure pour "manquement d'initié" de l'AMF peut être rapide, celle de la justice pénale promet de durer plusieurs années. Avec des sanctions particulièrement sévères si le délit est confirmé.

Thomas Leroy Journaliste BFM Business