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Rigueur budgétaire, nucléaire, CDD... Comment Giscard d’Estaing a géré la fin des 30 Glorieuses

 Valéry Giscard d'Estaing en 1977. L'ancien Président est décédé ce mardi 2 décembre.

Valéry Giscard d'Estaing en 1977. L'ancien Président est décédé ce mardi 2 décembre. - AFP

Si l'ancien chef de l'Etat a réussi à fortement améliorer l'indépendance énergétique de la France dans les années 1970, il a en revanche échoué à remettre en marche une économie française touchée par une forte inflation et l'émergence d'un chômage de masse. Valéry Giscard d'Estaing est décédé ce mardi 2 décembre.

1974, année de transition. Lorsque Valéry Giscard d’Estaing arrive à l'Elysée, la France s'apprête à changer d'époque. Au lendemain du premier choc pétrolier de 1973, le pays sort de près de 30 années miraculeuses de forte croissance alimentée par la reconstruction d'après-guerre puis par la forte croissance démographique.

Le pays que s'apprête à diriger l'ancien ministre de l'Economie compte alors 52,4 millions d'habitants (13 millions de plus qu'en 1945), le taux de chômage y est inférieur à 3% de la population active, le taux de croissance est encore de plus de 4% et le budget de l'Etat pour 1975 est excédentaire de 8,5 milliards de francs (l'équivalent de 6,4 milliards d'euros actuels) et ce pour la dernière année jusqu'à ce jour.

Et malgré le choc pétrolier et la fin des 30 Glorieuses qui s'annonce, la France est le pays qui est cité en exemple par le monde économique. Notamment aux Etats-Unis où le think tank conservateur Hudson Institute ne tarit pas d'éloge.

La France peut espérer être, d’ici dix ans, l’économie européenne la plus puissante en termes de production totale" et jouir en 1990 du "niveau de vie le plus élevé d’Europe." Moins industrielle que l'Allemagne, la France semble pour les experts plus prompte à résister à la concurrence asiatique.
La France dépend aussi moins du commerce extérieur que l’Allemagne ou la Grande-Bretagne, dont la plupart des exportations sont exposées à la concurrence japonaise au moment même où leurs marchés intérieurs ne sont plus sûrs", écrivent ainsi les auteurs du rapport.

C'est dans cette ambiance d'optimisme que Valéry Giscard d'Estaing prend le pouvoir avec pour ambition de moderniser l'économie. Et déjà à l'époque, la modernité c'est s'affranchir des énergies fossiles. Pas pour lutter contre le réchauffement climatique mais pour assurer l'indépendance énergétique du pays. Entre octobre 1973 et mars 1974, le prix du baril de pétrole est multiplié par quatre et la France craint pour sa dépendance énergétique future.

En France, on n'a pas de pétrole mais on a des idées", proclame une publicité restée fameuse.

"C'est moi qui ai pris la décision de la technologie nucléaire"

Et ces idées ce seront le TGV, projet initié en mars 1974 sous Pompidou, mais qui sera soutenu par Giscard d'Estaing. Mais aussi le rétablissement de l'heure d'été en 1976 pour réduire les besoin d'éclairage en soirée. Et enfin le nucléaire. Lancé en mars 1974 par le gouvernement de Pierre Messmer, le plan prévoit la construction de 13 réacteurs en deux ans. Et c'est le président en personne -polytechnicien de formation- qui arbitrera entre deux technologies concurrentes: les réacteurs à eau bouillante de General Electric et la filière à eau pressurisée de Westinghouse qui sera finalement retenue.

C’est moi qui ai pris la décision, rappellera VGE en 2014 lors d'une conférence au Bourget. J’ai fait Polytechnique. Le grand risque, dans le nucléaire, c’est la sécurité. Il vaut donc mieux un opérateur et une technologie. Et en 1976, j’ai donc choisi EDF et la filière à eau pressurisée".

Sûr de ses choix en matière énergétique, Valéry Giscard d'Estaing sera plus hésitant sur le plan économique. En 1975, la conjoncture économique se retourne brutalement, la croissance passe de 4,3% à -1%. C'est vraiment la fin des 30 Glorieuses. Dès lors deux visions s'opposent: celle de son premier ministre Jacques Chirac qui veut privilégier la relance, celle de VGE qui préfère la rigueur budgétaire. C'est Chirac qui gagne le premier round.

A partir de l'été 1975, l'Etat dépense à tout va: 5 milliards de francs pour soutenir la consommation, 13 milliards d'investissements dans des équipements publics et industriels et 3 milliards d'aide fiscale pour relancer l'investissement. Le déficit du budget dépasse cette année-là 1% du PIB. Le déficit devient alors la norme, les 45 budgets suivants jusqu'à aujourd'hui seront dans le rouge.

Chômage et inflation, les plaies du mandat

Une relance chiraquienne qui ne plait pas à l'ancien ministre du Budget Giscard. Après la démission de son premier ministre en 1976, place donc à la rigueur. Il nomme l'économiste Raymond Barre à Matignon qui lance rapidement un impopulaire plan de compétitivité. "La France vit au-dessus de ses moyens", assure le nouveau Premier ministre.

La France voit se profiler le million de chômeurs et l'inflation atteint des niveaux inquiétants. Pour limiter l'inflation les hausses de salaires sont limitées, les prix sont bloqués durant quatre mois. En parallèle, les impôts sont majorés, de même que les cotisations sociales et le prix de la vignette afin de rétablir l'équilibre des comptes.

C'est aussi le début de la flexibilité sur le marché de l'emploi. Le terme CDD fait son apparition dans le droit du travail français en 1979. Si le contrat court existait déjà, la loi de 1979 relâche les contraintes qui pèsent sur son recours.

Très contestée par les syndicats (la CFDT parle d'"opération de sauvetage des intérêts patronaux", la CGT de "régression social"), la politique de Giscard et Barre produit des résultats mitigées: l'inflation n'est que partiellement réduite, le taux de chômage passe de moins de 3% à plus de 4% en 1981 et les déficits budgétaires s'accumulent.

L'économie française est définitivement grippée, elle ne sera pas la plus puissante d'Europe en 1980 comme les prévisions le suggéraient. Et Valéry Giscard d'Estaing échouera à se faire réélire en 1981.

Frédéric Bianchi
https://twitter.com/FredericBianchi Frédéric Bianchi Journaliste BFM Éco