Retraites: ce fonds de pension public français dont personne ne parle

Le Fonds de réserve des retraites verse chaque année 2,1 milliards d'euros pour rembourser la dette liée aux retraites. Et pourtant, personne ou presque n'évoque son rôle.
La nouvelle réforme des retraites est sur les rails. Le haut-commissaire Jean-Paul Delevoye a présenté officiellement jeudi son rapport, avec l'ambition de transformer le système actuel en régime universel à points. Une réforme longue à mettre en oeuvre et qui nécessitera des ajustements pour qu'il n'y ait pas trop de perdants. A ce tire, le rapport Delevoye indique notamment qu'il faudra mettre en place un "fonds de réserve universel" pour garantir le nouveau système par point.
Justement, peu de Français le savent, mais il existe déjà un outil de ce type avec le Fonds de réserve des retraites (ou FRR). Un fonds qui pesait, fin 2018, la bagatelle de 32,65 milliards d'euros. Les retraités français sont ainsi loin de s'imaginer d'où provient une partie de l'argent qui sert à rembourser la dette accumulée pour financer leurs pensions. Chaque année, pas moins de 2,1 milliards d'euros sont ainsi remboursés par le FRR grâce notamment… aux bonnes performances des marchés financiers.
Plus précisément, depuis 2011 et jusqu'en 2024, le Fonds de réserve des retraites (FRR) verse 2,1 milliards d'euros à la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades). Cette dernière sert à liquider une partie de la dette sociale, autrement dit la dette liée aux déficits passés des différentes branches de la sécurité sociale (maladie, vieillesse, famille…).
Créé en 1999 en vue d'amortir le choc du papy-boom, le FRR fonctionne à la manière d'un fonds de pension. Il doit "investir au nom de la collectivité les sommes que lui confient les pouvoirs publics en vue de participer au financement des retraites", précise le FRR sur son site. A l'origine, il était prévu qu'il soit doté de 150 milliards d'euros à l'horizon 2020. Mais la réforme des retraites de 2010 a chamboulé la donne et le Fonds de réserve ne reçoit plus d'argent public depuis janvier 2011.
Des rendements de 4% par an
Or, malgré les ponctions annuelles versées à la Cades, il n'a pas vraiment fondu. La valeur des titres qu'il détient est toujours restée supérieure à 30 milliards d'euros. Comment parvient-il à ce tour de force financier? Pour éviter d'entamer ses réserves, le FRR doit afficher un rendement très élevé, de l'ordre de 5,8% par an. Et le Fonds est très proche de ce seuil, puisqu'il a enregistré une performance annualisée de 4,4% de 2004 à 2017, alors même que le monde traversait l'une des plus graves crises financières de l'histoire. L'an passé, ce rendement a toutefois chuté à -5,16% "en raison d’une baisse brutale des marchés actions dans les deux derniers mois de l’année", explique dans un communiqué le FRR. Mais c'est toujours bien mieux que le CAC 40 en 2018 (près de -11%). Il s'agit d'ailleurs de la première performance négative du FRR depuis 2010.
Afin d'enregistrer de solides performances sur le long terme, il n'y a pas de miracle, il faut prendre des risques. 44% du fonds sont aujourd'hui placés dans des obligations souveraines (les emprunts des États) de qualité. Mais 56% sont investis dans des placements plus risqués : des actions mais aussi des obligations d'entreprise à haut rendement ou des obligations de pays émergents. Au 31 décembre 2018 dernier, la valeur des actions détenues atteignait ainsi 8,7 milliards d'euros.
Coca-Cola, Google ou encore LVMH en portefeuille
Les titres détenus par ce mini-fonds de pension à la française sont parfois surprenants pour le néophyte. Ainsi, les Français détiennent indirectement via le FRR des actions dans le géant chinois de l'e-commerce Alibaba, dans les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft), dans Berkshire Hathaway (la société dirigée par Warren Buffett), dans Coca-Cola, Disney ou encore Ryanair. Les actions françaises ne sont pas non plus en reste. Le laboratoires Boiron (dont on a beaucoup parlé ces derniers temps avec le déremboursement de l'homéopathie) ou le leader mondial du luxe LVMH sont aussi en portefeuille. Globalement, le FRR mise sur plusieurs milliers d'entreprises différentes.
Néanmoins, le Fonds de réserve des retraites ne gère pas en direct son portefeuille et ne choisit pas action par action ses placements. Il fait appel à des intermédiaires: les prestataires de services d'investissement. Ce sont ces derniers qui, en fonction d'une stratégie globale fixée par le fonds, arbitre entre telle ou telle action.
Des placements parfois pointés du doigt
Des investissements qui ont parfois valu au FRR les foudres de certaines ONG. En 2015, un rapport commandé par le mouvement mondial pour la justice climatique, 350.org, pointait du doigt notamment les 922 millions d'euros détenus fin 2013 dans les actions de 60 des 100 premières entreprises mondiales du secteur pétrolier et gazier.
Face à ces critiques, Yves Chevalier, membre du directoire du FRR, estime que le fonds serait victime de sa transparence sur son portefeuille. "Nous avons une responsabilité globale: assurer le meilleur rendement sans trop de prise de risque et mettre en œuvre une politique ESG (NDLR : à partir de critères environnementaux, sociaux et de gouvernance)", explique Yves Chevalier. En d'autres termes, un fonds qui exclurait toutes les sociétés qui ont mauvaise presse auprès des ONG verrait rapidement son rendement chuter et rognerait l'épargne des Français.
De fait, tout financier vous le dira, pour maximiser le rendement d'un portefeuille tout en minimisant le risque associé, il n'y a qu'une seule solution: diversifier. Et à l'échelle d'un fonds de cette taille, il est assez classique de placer ses œufs dans un maximum de paniers différents. D'ailleurs, le FRR ne peut détenir plus de 3% du capital d'une entreprise cotée et ses participations sont généralement très inférieure à 1% du capital de chaque groupe.
Selon le rapport annuel 2017 du FRR, 4% du portefeuille d'actions (soit près de 390 millions d'euros) était encore investi dans le secteur du pétrole et du gaz fin 2017. Mais l'industrie (19% des actions), les biens de consommation (14%), les services à la consommation (14%), la santé (10%) ou encore les banques (9%) pèsent bien plus.
Minimiser son empreinte carbone
Par ailleurs, le fonds de réserve des retraites tente de minimiser son impact écologique. "De 2013 à 2017, le portefeuille du FRR a réduit son empreinte carbone de 37,8%", note le dernier rapport annuel disponible, alors que son indice de référence ne la diminuait que de 19,6% sur la même période. Ici, le critère retenu est l'équivalent de tonnes de CO2 par million d'euros de chiffre d'affaires réalisé par les entreprises du portefeuille. Il n'existe toutefois pas une méthodologie universellement reconnue pour mesurer l'empreinte carbone. Ces estimations sont donc à interpréter avec des pincettes.
En outre, depuis 2017, le fonds a exclu de son portefeuille "les sociétés dont l'activité d'extraction de charbon thermique ou de production d'électricité, de chaleur ou de vapeur à partir du charbon dépasse 20% de leur chiffre d'affaires". Ce seuil a depuis été abaissé à 10%. S'ajoute à cela une liste noire plus ancienne, régulièrement mise à jour, d'une quarantaine de sociétés exclues du portefeuille. Une liste qui comprend les fabricants de tabac et les sociétés impliquées dans la production de mines antipersonnel ou d'armes à sous-munition.
Reste à savoir ce qu'il adviendra du Fonds de réserve en 2024, année où il fera son dernier versement à la Cades, avec des caisses qui devraient encore être garnies d'environ 15 milliards d'euros. De quoi aiguiser l'appétit des grands argentiers de l'Etat... toujours en manque d'argent pour boucler les budgets.
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