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Levée des sanctions américaines contre le gazoduc Nord Stream 2: satisfaction de Berlin et Moscou

Une évolution des Etats-Unis plutôt inattendue autour du nouveau gazoduc russo-allemand Nord Stream 2, projet énergétique structurant pour l'UE. L’administration Biden décide de ne pas le sanctionner.

Aussitôt instaurées, aussitôt levées. Le ministre américain des Affaires étrangères, Antony Blinken, a déclaré avoir "déterminé qu’il est dans l’intérêt national des Etats-Unis" de renoncer à l’application des mesures punitives contre la société exploitante du nouveau gazoduc entre la Russie et l’Allemagne. Le Nord Stream 2 acheminera donc sans encombre du gaz russe vers la première économie d’Europe, directement à travers la mer Baltique, en contournant les territoires de l’Ukraine et de la Pologne.

Berlin n'a pas tardé à s’en féliciter. Le chef de la diplomatie allemande, Heiko Maas, considère que cela montre que "Washington tient compte des relations vraiment excellentes nouées avec l’administration Biden". Il fait valoir que cette infrastructure constitue la seule question sur laquelle les deux pays ont des divergences fondamentales.

"Comportement sanctionnable"

En vertu d’une loi américaine de 2019, toute entité ou personne physique travaillant pour cette infrastructure est au départ considérée comme relevant d’un "comportement sanctionnable". Les Etats-Unis, à peu près toutes tendances politiques confondues, entendaient faire plier l’utilisateur final. En début d’année, lorsqu’il a été auditionné au Sénat pour la confirmation de sa nomination, Antony Blinken se voulait inébranlable dans son opposition à Nord Stream 2 : "Je suis résolu à faire tout ce que nous pourrons afin d’empêcher son achèvement." Puis, en mars, il le qualifie de "projet géopolitique russe destiné à diviser l’Europe et à affaiblir la sécurité énergétique européenne". Washington y voit ainsi une entreprise d’abord destinée à priver les Ukrainiens de frais de transit stratégiques pour leurs caisses publiques (3 milliards de dollars versés en 2019), ce qu'a encore contesté hier Armin Laschet, le chef de la CDU qui compte succéder à la chancelière Angela Merkel. Pour lui, le projet est de nature strictement "économique", dans lequel les "préoccupations" de Kiev ont été "prises en compte".

L’évolution de l’exécutif américain, pour ne pas dire le revirement, va avoir du mal à passer auprès du Parlement. Le président démocrate de la commission des Affaires étrangères du Sénat, Robert Menendez, déclare ne pas percevoir comment "cette décision ferait progresser les efforts des Etats-Unis pour contrer l’agression russe en Europe". Le sénateur républicain Marco Rubio, parmi les plus en vue de cette commission, va plus loin, à ses yeux, Joe Biden vient d’accorder "une énorme victoire" à son homologue russe Vladimir Poutine.

Rencontre "constructive"

Hier, ce qui n’est pas tout à fait courant, le Kremlin n’a pas attendu l’officialisation américaine pour évoquer un "choix positif"... Il semblait même y avoir une forme d’étonnement dans le propos du porte-parole de la présidence russe. Le geste de Washington a, manifestement, été apprécié de la délégation russe à la première rencontre entre Antony Blinken et le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov, qui a eu lieu dans la soirée en Islande. Réunion qualifiée de "constructive" par la Russie. L'un des responsables du ministère des Affaires étrangères estime, ainsi, que sur Nord Stream 2, il y a là une "facilitation de la normalisation" entre les deux capitales.

Mais un politologue allemand, consultant du monopole gazier russe Gazprom (partie au projet), a son explication à ce pas consenti vers Moscou : il s’adresserait d’abord à Berlin. D’après Alexander Rahr, les Américains ont réalisé qu’il était nécessaire d’entamer un rapprochement avec leurs alliés européens, en tête desquels se trouve l’Allemagne. Le faire en sanctionnant des entreprises occidentales aurait "gâché toute tentative d’arrondir les angles".

Manoeuvrer différemment

Pourtant, le contentieux géoéconomique n’est certainement pas clos. Le quotidien économique russe "Kommersant" livre l’analyse, très instructive, d’un des principaux experts à Moscou du Fonds national de sécurité énergétique (NESF). Igor Yushkov escompte que le gouvernement Biden manœuvre à présent différemment autour du projet, en coulisses plutôt qu’à la surface. Comment ? En accentuant la pression sur les sociétés qui délivrent les certificats de fonctionnement du gazoduc et en amenant les Européens à ne pas charger la canalisation à sa pleine capacité.

Et puis, Washington peut aussi penser que l'enjeu vaut bien d'attendre l'issue des élections législatives allemandes du 26 septembre, où les Verts paraissent, à en croire les enquêtes d'opinion, en mesure de contester la chancellerie aux conservateurs. Or, les chefs de file du parti écologiste allemand se montrent de plus en plus phase avec les orientations de politique internationale de la Maison-Blanche, pour ce qui concerne en tout cas la Russie et la Chine. En attendant, l’opérateur de Nord Stream 2 prévoit toujours d’achever la construction dans quatre mois.

Benaouda Abdeddaïm Editorialiste international