Le taïwanais TSMC se permet de dire non aux Etats-Unis

En avril dernier, une lettre de veille économique new-yorkaise la présentait comme "l'entreprise la plus importante au monde". TSMC en paraît suffisamment consciente pour s'autoriser à ne pas donner suite à une requête formelle d'information du département du Commerce des États-Unis, en date du 24 septembre, dont la Maison-Blanche s'avère l'origine.
Tout acteur au sein de la chaîne d'approvisionnement des semi-conducteurs, qu'il soit sous pavillon américain ou non, a été prié de remplir dans les 45 jours un questionnaire standard sur les stocks et les "dynamiques" de la demande et des livraisons. L'administration démocrate affirme qu'il s'agit là "d'identifier" de possibles phénomènes de "thésaurisation" et de "quantifier les goulets d'étranglement" qui paralysent l'industrie automobile, parmi d'autres, et provoque des pénuries de composants électroniques de toute sorte. Mais TSMC n’est pas prêt à répondre à cette demande.
Impossible de transmettre des informations confidentielles sur sa clientèle
La plus importante fonderie taïwanaise de semi-conducteurs a, de nouveau, répondu qu'il n'est pas dans sa politique de transmettre des informations confidentielles sur sa clientèle. Il y a trois semaines déjà, en invoquant un principe fondamental de "confiance", la directrice des affaires juridiques, Sylvia Fang, a souligné que la société ne divulgue pas le moindre renseignement spécifique.
Or, à Washington, certains ont pu penser que TSMC se laisserait potentiellement convaincre par les montants extraordinaires d'argent public qu'entend injecter le Congrès américain - 52 milliards de dollars - en vue d'aider à rebâtir une chaîne d'approvisionnement complète sur le sol américain. Le fondateur juge, lui, que cette perspective relève d'une "tâche qui n'est pas possible", même si les États-Unis venaient à vouloir dépenser "des centaines de milliards de dollars". En rapportant cette fin de non-recevoir, le quotidien en ligne taiwannews.com.tw explique ainsi que Morris Chang évoque des "rêves" de la part des États-Unis.
Des demandes extérieures déraisonnables
Le gouvernement taïwanais s'est gardé, pour sa part, de se prononcer quant à la validité du questionnaire en provenance de Washington, et encore plus de commenter ces grands projets de relocalisation. Mais Taipei a fait savoir que, tout en respectant les règles commerciales américaines, il veillerait à soutenir les sociétés taïwanaises, dans l'hypothèse où celles-ci seraient soumises à des demandes extérieures "déraisonnables".
Doté d'un groupe si admiré, si jalousé, Taïwan se montre plus que jamais conscient du caractère tout à fait déterminant de TSMC et de son système alentour, en tant qu'actif géopolitique, tant son avance technologique et sa domination industrielle paraissent encore inaccessibles.
De nature à faire pencher la balance?
C'est précisément le secret qui préserve cette force taïwanaise inégalée dans les puces. Dès lors, le sauvegarder coûte que coûte permet à Taipei de conserver toute l'attention des États-Unis et, par là-même, leur protection diplomatique et militaire.
En d'autres mots, le semi-conducteur contribue à maintenir Washington toujours en alerte, voire Pékin, sous un autre prisme. Dans une note de juillet 2020 pour un institut de recherche internationale de Sydney, une diplomate australienne, Kate Sullivan-Walker, aujourd'hui au cabinet du Premier ministre, considérait que cette entreprise contribuait, en effet, y compris à renforcer un intérêt de la Chine pour la stabilité de l'île.
Mais cette thèse tient-elle encore? Deux spécialistes du dossier basés en Allemagne paraissent de plus en plus en douter. Dans leurs analyses conjointes, John Lee et Jan-Peter Kleinhans pensent qu'en cas de conflit, le rôle "indéniablement critique" de TSMC n'est pas, pour les gouvernements étrangers, de nature à faire "pencher la balance". Un calcul global rend difficile à concevoir selon eux, que les tiers puissent percevoir leurs intérêts économiques à Taïwan comme l'emportant sur ceux en Chine. Même "l'entreprise la plus importante au monde" ne peut pas offrir une police d'assurance à toute épreuve.