Les sous-traitants techniques, éléments indispensables de l’industrie

Vous êtes la présidente d’une entreprise familiale, dont l’origine remonte au milieu du 19ème siècle. Comment Augé Microtechnic Group s’est-elle adaptée au cours des décennies?
En 1934, l’entreprise renommée Augé Ressorts, était spécialisée dans la fabrication de ressorts de montre. Elle est devenue une entreprise de taille intermédiaire dans les années 1950, avec un rayonnement mondial. Puis dès 1960, la société a diversifié son activité avec la production de ressorts industriels, puis en développant le découpage, le surmoulage de pièces métalliques, la fabrication de sous-ensembles métallo-plastiques. Aujourd’hui, notre société compte 450 salariés. Nous sommes toujours implantés à Besançon et avons également un site de production en Tunisie et un autre en Roumanie.
Depuis les années 1960, le groupe a continuellement poursuivi sa stratégie de développement des compétences techniques et intégré de nouvelles technologies. En les connectant entre elles, Augé Microtechnic Group peut proposer des produits de plus en plus complexes.
A quels secteurs et quel type de clients s’adresse Augé Microtechnic Group ?
Nous travaillons principalement avec l'équipement électrique et l'automobile, mais aussi avec le bâtiment, l'aéronautique, le médical, le ferroviaire. Tenant compte des différentes technologies que nous proposons, et de notre capacité à nous adapter à des contextes différents (typologie de projets, exigences logistiques, variétés des volumes, etc…), nous travaillons avec des clients très variés en marché, en technologies et en taille (de la PME au grand groupe international). Forts de notre passion pour les technologies et notre habilité à les relier entre elles, nous accompagnons nos clients dans l'aboutissement de leurs projets à forts enjeux techniques.
Vous estimez, avec d’autres sous-traitants techniques, que cette filière n’est pas suffisamment valorisée et soutenue. Pour quelles raisons?
Je pense en effet qu’il serait plus juste de parler de cotraitance, puisqu’il s’agit en réalité d’une relation de co-création et d’interdépendance entre fournisseurs et clients. Les « sous-traitants » techniques disposent de compétences spécifiques et sont essentiels dans la chaîne de fabrication. Chez Augé Microtechnic Group, nos savoir-faire se sont accumulés pendant des dizaines d'années, nous y avons consacré de l'énergie, du temps et de l’argent. Ces savoir-faire ont un coût, et ces investissements ne sont pas appréciés à leur juste valeur. Ces compétences sont également de plus en plus rares. Des sociétés comme la nôtre s’engagent pour conserver et développer ces connaissances, ce qui est précieux et incontournable pour nos clients.
Pensez-vous que ces compétences ne sont pas suffisamment reconnues ?
Le gouvernement actuel a une vision industrielle, et la crise sanitaire a replacé dans le débat l’idée d’être un pays industriel, afin de ne plus dépendre des autres, notamment de l’Asie. Or aujourd’hui, les technologies mises en avant sont par exemple, le nucléaire, l'hydrogène ou encore les puces électroniques. Mais il ne peut pas y avoir de grandes filières technologiques,sans « sous-traitants » compétents et rentables. Les filières d’excellence ne peuvent pas exister sans nous et ne peuvent se développer sans l’ensemble des parties prenantes. La France compte 30 000 sous- traitants industriels dont seulement 5 000 sociétés de plus de 20 salariés. Je pense qu’il est nécessaire de prendre en compte ce maillage et de le structurer pour une industrie pérenne.
La filière aéronautique l’a bien compris puisqu’elle a mis en place dès 2014 des initiatives visant à renforcer son réseau de sous-traitants en France et a choisi la coopération entre les entreprises pour cela. Nous-mêmes avons bien cela en tête et participons dès que possible et à notre niveau à des relations pérennes avec nos propres « sous-traitants partenaires ».
Quels sont les autres enjeux de votre marché ?
Ils sont nombreux. D’abord savoir s’adapter aux mutations technologiques, notamment du monde de l’automobile qui est régi par des contraintes fortes au niveau environnemental. Le principal défi est l'arrêt de la construction des moteurs thermiques, pour les pays membres de l'Union Européenne, ce qui va avoir un impact sur toute la supply-chain
Nous devons nous-mêmes tendre vers la neutralité carbone. Nous sommes investis dans la préservation de l’environnement depuis longtemps, notre certification ISO14001 a plus de 15 ans. Cela suppose des investissements spécifiques qui s’ajoutent aux investissements dans les process, dans les compétences etc … Notre société est en veille permanente afin de suivre et anticiper les mutations technologiques, et prendre les bonnes décisions en termes de compétences et d’investissement.
Nous sommes également confrontés à des situations de pénuries et de tension sur les marchés : au niveau des approvisionnements de matière, des transports et peut-être en premier lieu au niveau des compétences techniques. Nous devons travailler sur notre attractivité vis-à-vis des candidats. Mais nous devons pouvoir compter sur des filières d’apprentissage et sur une modification de la perception dans le grand public des métiers de l’industrie, qui offrent des opportunités intéressantes.
En outre, il existe des enjeux économiques et de pérennité puisque le marché reste instable. Nous avons de moins en moins de visibilité sur nos marchés. Nous devons donc nous adapter lorsque l’activité ralentit, accélérer quand elle accélère. Nous devons dans le même temps conserver nos compétences et nos salariés. C’est un défi.
Avez-vous des difficultés à recruter ?
Oui en effet, c'est un problème qui concerne toute l’industrie. Il y a peu de candidats pour certains de nos métiers et peu de jeunes dans les formations. Les industriels dans certains cas ont une part de responsabilité, en prenant des décisions à court-terme guidées uniquement par la rentabilité du moment. Mais c’est tout un système et des croyances qui se sont mis en place à partir des années 1980. La France s’est désintéressée de son industrie, les politiques voulant un pays de services. Ces décisions ont fait beaucoup de mal à nos filières.
Beaucoup de nos métiers, très techniques, requièrent un savoir- faire très précis, ce qui rend impossible le recours à l’intérim. Les jeunes qui choisissent des métiers de l’industrie sont peu nombreux. L’apprentissage est toutefois un moyen très efficace d'attirer les jeunes puisque cela leur permet de se former et de trouver un emploi rapidement, et c’est très positif pour de nombreux jeunes qui ont besoin de concret en même temps que de formation. Nous devons poursuivre les efforts de communication autour de l’apprentissage et des métiers de l’industrie. Augé Microtechnic est une entreprise à taille humaine, avec des compétences techniques, des valeurs, et des jeunes recrues peuvent y vivre de vrais parcours professionnels.
Selon une étude de l’Edhec Family Business Center parue en 2017, seulement 12% des entreprises familiales françaises sont transmises à la génération suivante, contre 65% en Allemagne. Cette question est-elle préoccupante?
En effet, les transmissions d’entreprises familiales sont de plus en plus rares et compliquées en France. Je m’interroge sur la façon dont je vais pouvoir transmettre mon entreprise, qui possède un savoir-faire centenaire, une équipe dynamique et compétente. Les sociétés familiales ont beaucoup d'intérêt, notamment parce qu’elles ont une vision à long terme dans l’investissement, le développement et les relations humaines. Il y a plusieurs aspects à traiter, d’abord quel accompagnement de l’État du point de vue fiscal ? Et puis comment éduquer les familles à transmettre, comment expliquer le rôle d’un patron pour susciter des vocations de dirigeants (dans la famille ou non) etc... Selon moi, il y a une réelle pédagogie à mettre en place.
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