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Que vient faire Yves Rocher dans l'affaire Navalny?

Le groupe Rocher, propriétaire de la marque de cosmétiques Yves Rocher, subit les critiques dans l'affaire Navalny

Le groupe Rocher, propriétaire de la marque de cosmétiques Yves Rocher, subit les critiques dans l'affaire Navalny - Eric Piermont-AFP

A l'origine de la peine de prison, à laquelle a été condamné l'opposant à Vladimir Poutine, une vieille affaire de fraude qui concerne la marque de cosmétiques.

Etrange communiqué de presse, mis en ligne par Yves Rocher sur son site internet, ce mercredi. Entre l'annonce d'une nouvelle gamme de mascaras et celle d'un concentré "bi-phase récupérateur de nuit", la marque de cosmétique a publié un communiqué sobrement intitulé "Alexeï Navalny", proposé en français, en anglais et en russe. Le long texte revient sur une affaire qui colle à la peau de l'enseigne depuis des années et qui a pris une nouvelle ampleur, ces dernières semaines.

Au coeur d'une fraude

Retour en 2008. Yves Rocher, qui est implanté en Russie depuis la chute de l'URSS, fait appel à la société de logistiques russe Glavpodpiska pour l'envoi de ses colis. Les actionnaires de cette entreprise ne sont d'autres que Oleg et Alexeï Navalny. L'affaire, qui semblait rouler, prend une autre tournure en 2012, lorsque le directeur de la filiale russe est convoqué par les autorités dans le cadre d'une enquête judiciaire sur Glavpodpiska.

"La direction d'Yves Rocher a dû répondre aux questions des enquêteurs et lors de ces interrogatoires, elle a découvert plusieurs indices concordants et importants rendant vraisemblable l'existence d'une escroquerie à son encontre" affirme aujourd'hui le groupe français.

"Notre filiale n'a fait que répondre aux questions des autorités locales. Elle a appliqué les procédures habituelles tant internes que celles prévues par le droit russe applicable afin de pouvoir avoir accès aux pièces et éléments du dossier et faire la lumière sur ce qui s'était déroulé."

Concrètement, Oleg Navalny aurait utilisé son statut de haut fonctionnaire à la Poste russe pour convaincre Yves Rocher de conclure un contrat avec Glavpodpiska, sans signifier son lien capitalistique avec l'entreprise. A l'époque, Alexeï Navalny n'est pas encore la bête noire du Kremlin, mais s'affirme comme un opposant de Vladimir Poutine.

La machine judiciaire est lancée

L'opportunité politique de cette enquête se pose évidemment. D'autant qu'Yves Rocher avait, par la suite, assuré que Glavpodpiska était un bon partenaire, de surcroit moins cher. "Nous n'avons pas subi de préjudices" assurera même un audit interne de la marque française. Préjudice financier, précise aujourd'hui la marque.

Entre temps, Yves Rocher a déposé une plainte contre X, une procédure qui lui permettait d'avoir accès au dossier, explique encore l'entreprise. Aujourd'hui, elle rappelle n'avoir "jamais porté plainte contre les frères Navalny, ni n'a formulé une quelconque demande en justice à leur encontre, et ce à aucun moment."

Il n'empêche, la machine judiciaire russe est lancée. Oleg Navalny est finalement condamné à trois ans et demi de prison ferme et son frère Alexeï à trois ans et demi de prison avec sursis. Une peine confirmée jusqu'à la Cour Suprême de Russie en 2012, même si la Cour Européenne des Droits de l'Homme a estimé en 2017 que les frères Navalny avaient été privés de leur droit à un procès équitable.

L'affaire judiciaire s'est aussi poursuivie en France quand les deux frères ont attaqué Yves Rocher pour "dénonciation calomnieuse". Un dossier classé sans suites par le juge d'instruction mais désormais dans les mains de la cour d'appel de Rennes.

Critiques sur les réseaux sociaux

Alors pourquoi évoque-t-on aujourd'hui Yves Rocher? Parce que l'arrestation d'Alexeï Navalny, le 18 janvier dernier, cinq mois après son empoisonnement, découle de cette affaire, ainsi que de nouvelles poursuites qui ont encore étendu la période probatoire de la peine jusqu'au 29 décembre dernier. Il aurait ainsi violé les termes de sa liberté conditionnelle qui l'obligeait à pointer au moins deux fois par mois à l'administration pénitentiaire russe. Navalny était, bien sûr, en convalescence en Allemagne, ces derniers mois.

Résultat, Yves Rocher subit de nouveau les critiques voire les insultes sur les réseaux sociaux, obligeant la marque à évoquer cette affaire qui lui colle à la peau comme un sparadrap.

"Nous tenons à rappeler que le Groupe Rocher est apolitique. En ce sens, nous ne souhaitons ni être instrumentalisés à des fins politiques ni prendre part au débat politique actuel ayant cours en Russie" écrit le groupe, qui estime, désormais, que "l'ensemble des procédures judiciaires impliquant Yves Rocher Vostok sont closes."
Thomas Leroy Journaliste BFM Business