Quatre salariés de RTE jugés pour sabotage du réseau électrique

L’ambiance est sous haute tension chez RTE. Quatre salariés du Réseau de transport d’électricité comparaissent ce mardi 28 février devant le Tribunal correctionnel de Paris. Ils sont accusés d’"entrave, de sabotage et d’introduction frauduleuse de données" dans le système informatique du réseau électrique. En juin 2022, ils avaient participé à plusieurs journées de grève dans le Nord de la France pour réclamer des hausses de salaires. Ils avaient alors procédé à des interventions informatiques consistant à couper la communication entre des postes électriques locaux et le siège de RTE. Ainsi, le pilotage depuis Paris, de ces 14 postes en région avait été interrompu pendant quelques heures.
Fin juillet, RTE a porté plainte à Lille et, dans le même temps, l’un de ses dirigeants a contacté la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), comme l’a révélé BFM Business. La police anti-terroriste a alors placé les quatre salariés de RTE sur écoute pendant deux mois avant de les arrêter début octobre. Placés en garde à vue pendant trois jours, la justice les accuse de cyber-attaques.
Lors de ce procès, les juges devront trancher sur la gravité des faits alors que les salariés encourent jusqu’à 15 ans de prison. RTE estime qu’ils ont mis en danger le réseau. "Cette perte de manœuvre (capacité de piloter le réseau à distance, ndlr) a pour conséquence de dégrader significativement notre capacité à assurer la sécurité d’approvisionnement" a alors estimé le président de RTE, Xavier Piechaczyck dans un courrier adressé à ses administrateurs, le 2 novembre dernier, et que BFM Business s’est procuré.
Philippe Martinez interpelle Elisabeth Borne
Sauf que la réalité est plus complexe. Les syndicats de RTE, la puissante CGT en tête, accusent la direction de vouloir "casser un mouvement social". L’affaire est remontée très haut. Le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, estime que RTE a "lancé une machination judiciaire à broyer les grévistes" dans un courrier à Elisabeth Borne du 7 décembre 2022.
Le comité d’entreprise a mandaté un expert extérieur pour relater les faits. Le rapport de Progexa explique que ces pertes de pilotage à distance, dites "téléconduites", n’ont jamais été classées comme un acte dangereux en interne.
"Elles ne risquaient pas de générer de black-out, les allégations de risques de coupures sont totalement infondées" est-il écrit.
Ces gestes en cas de grève étaient fréquents, selon les syndicats. "Ces actions symboliques n’ont auparavant jamais déclenché une réponse patronale aussi radicale, estime Progexa. La direction est donc passée de la tolérance à la répression".
Lors du procès qui commence aujourd’hui, les avocats des quatre salariés décortiqueront les faits. "Ces actes ne sont en rien du terrorisme ni même des fraudes informatiques!, abonde Jérôme Borzakian, l’un des avocats. Il s'agit d'une intervention sur la seule visibilité du réseau qui n'a jamais mis en danger l'approvisionnement". Il sera aussi question de forme. RTE a déposé plainte à Lille, contacté directement la DGSI qui a été ensuite été saisie par le Parquet de Paris sans passer par les services de l’Etat. "Aucune procédure n’a été respectée" tranche l’avocat.
RTE a "pris peur"
À l’époque des faits, le contexte social chez RTE était explosif alors que des grèves, pour des revendications salariales, se multipliaient. Les craintes de pénurie d’électricité pour l’hiver augmentaient de jour en jour. Et des risques de cyber-attaques russes planaient. Le réseau électrique est classé "opérateur d’importance vitale" par l’Etat.
Un ancien cadre de l’entreprise nous explique que RTE a "pris peur". "Habituellement, ces interventions se faisaient directement dans les postes de contrôle. Cette reprise en main à distance est nouvelle, explique cet ancien dirigeant. Cela révèle une faille et de potentiels risques de cyber-attaques si un salarié était mal intentionné".
De son côté, RTE dément catégoriquement. "Il n’y a pas de faille dans la sécurité de notre système, assure un porte-parole. C’était un détournement volontaire, par des salariés de l'entreprise, habilités et formés à ces pratiques, dans l'objectif d'altérer plusieurs fonctions essentielles du réseau". En plus de juger les salariés, le Tribunal aura finalement aussi à trancher du comportement de la direction de RTE qui s’est portée partie civile.