Pourquoi les services secrets ont traqué quatre salariés de RTE

Jour de grève au sein du Réseau de transport électrique (RTE) ce vendredi. La CGT appelle à la mobilisation alors que quatre salariés de l’entreprise vont être licenciés. Leur procédure disciplinaire commence aujourd’hui pour l’un d’entre eux. Mais surtout, ils ont été renvoyés devant le Tribunal correctionnel en février prochain après une plainte de RTE l’été dernier pour entrave et sabotage. L’affaire a fait grand bruit alors qu’ils ont été placés en garde à vue pendant trois jours, début octobre, dans les locaux de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI).
Entre le 15 juin et le 22 juillet, ces quatre salariés de RTE -dont un seul est syndiqué- ont participé à des grèves dans le Nord de la France, pour réclamer des hausses de salaire. Au cours de ces cinq semaines, ils ont participé à 17 opérations consistant à rompre la communication entre le réseau local dans le Nord et le réseau au niveau national. Cette manipulation vise à "reprendre en locale" selon le jargon, la gestion d’une petite partie du réseau, et de la détacher du niveau national. Une manière de le rendre "invisible" depuis Paris, sans toutefois qu’il soit coupé. Cela oblige RTE à envoyer un technicien pour "rebrancher" la boucle locale sur le réseau principal.
Pas de coupure de courant
Concrètement, "il n’y a eu aucune coupure de l’approvisionnement électrique, reconnait-on chez RTE. Mais on a perdu la vision des postes. Dans ces conditions, il est plus difficile de piloter le réseau et cela met en péril la sécurité d’approvisionnement".
RTE a le statut d’opérateur d’importance vitale. Mais les syndicats de l’entreprise réfutent ces arguments."Il n’y a eu aucune coupure d’électricité et ce genre d’opérations est souvent réalisée pendant les grèves", assure Francis Casanova, responsable CGT chez RTE.
Le 26 juillet, l’entreprise a déposé plainte. Trois jours plus tard, le Parquet de Paris a ouvert une enquête et confié l’affaire à la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSI). Une décision étonnante alors qu’habituellement, les grévistes passent seulement quelques heures dans un simple commissariat. Mais RTE souligne que les quatre salariés avaient réalisé plusieurs opérations de "reprise en locale" en même temps, en pénétrant son système informatique "à distance", auquel ils ont accès en tant que techniciens.
Deux mois d'écoutes téléphoniques
Les spécialistes de la cellule cybercriminalité de la DGSI mettent alors sur écoute téléphonique les quatre salariés. Et deux mois plus tard, le 5 octobre, quatre équipes de huit policiers débarquent à six heures du matin à leurs domiciles, dans le Nord de la France. Ils les rapatrient au siège de la DGSI, à Levallois, où ils les mettent en garde à vue pour plusieurs motifs: "entrave au fonctionnement d’un système de traitement automatisé de données au préjudice de RTE", "introduction et modification frauduleuse des données d’un système de traitement automatisé", et en "bande organisée", selon l’ordonnance de renvoi que BFM Business a pu consulter. Ce dernier chef d’inculpation pèse lourd. Les salariés de RTE risquent ainsi jusqu’à 15 ans de prison.
La justice le justifie par le fait qu’une "opération a été programmée et réalisée à distance sur plusieurs postes en même temps", explique Jérôme Karsenti, l’un des avocats. Son client a été particulièrement scruté par la DGSI car il pratique le tir, dispose d’un permis d’armes et en détient chez lui. "Ils sont des salariés en grève qui ont été traités comme des terroristes, dénonce Jérôme Karsenti, c’est du jamais vu". La CGT de RTE, s’insurge contre une "criminalisation de l’action syndicale" et pointe du doigt le président, Xavier Piechaczyk avec qui les relations sont très mauvaises.
Le gouvernement assume
Un cadre de la CGT s’est plaint auprès du Préfet de Police de Paris qui lui a assumé le traitement musclé de l’affaire. "Il a assuré que ce type d’intervention sur le réseau électrique serait désormais traité de cette manière" explique ce responsable syndical. Selon plusieurs sources, le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, s’est aussi manifesté auprès du gouvernement.
En attendant leur procès, qui aura lieu le 28 février 2023, les quatre salariés sont soumis à un contrôle judiciaire très strict. Ils n’ont le droit ni de se voir ni d’aller sur leur lieu de travail.
Ces derniers mois, les inquiétudes chez RTE et au sein du gouvernement sont montées sur des possibles cyberattaques russes sur le réseau électrique. "Tout le réseau électrique géré par RTE est numérisé, explique un bon connaisseur de l’entreprise. L’intrusion dans le système informatique est grave car il pose la question de sa faiblesse". A quelques semaines de l’hiver et alors que la France risque une pénurie d’électricité en raison de l’arrêt de 25 réacteurs nucléaires, le réseau électrique est plus que jamais une infrastructure ultra-sensible.